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28 janvier 2017

Histoire des Arts

Le beau et le laid selon Edgar Morin

Notre civilisation occidentale a longtemps cru que ses canons de beauté étaient universels. En matière de sculpture et de peinture, la beauté grecque illustrée par Praxitèle a été conçue comme le modèle de toute beauté, et c’est en le suivant que les peintres de la Renaissance puis de l’époque classique ont produit leurs œuvres.

Nous avons cru universelle la conception classique de la beauté ainsi dégagée, qui comporte harmonie et régularité. Elle peut commencer à s’exprimer dans la joliesse, elle peut accéder à la splendeur, elle exclut toute scorie, toute difformité, toute laideur. Dans cette conception classique, il y a antinomie entre le beau et le laid.

En un sens, l’occidentalisation du monde, effectuée au cours de l’ère planétaire, a semblé confirmer cette universalité en diffusant, installant et acclimatant dans les autres continents ses propres productions de beauté, peinture, musique, littérature. Mais si l’universalisation de l’esthétique occidentale de beauté fait qu’on admire La Joconde à Tokyo, cette universalisation n’a pas annulé les types proprement japonais de beauté.

Le même processus de planétarisation nous a fait découvrir et reconnaître comme belles des œuvres dont les critères de beauté étaient très différents : nous avons esthétisé l’art africain en dépouillant les masques et les statues de leur finalité pour les considérer comme des œuvres d’art, mais en même temps nous avons reconnu beau ce qui était considéré comme étrange, bizarre, voire laid.

C’est Friedrich Schlegel qui le premier a pointé la question de la laideur comme problème central dans l’esthétique, et notamment dans la littérature moderne. Il a écrit : « Le laid est la prédominance totale du caractéristique, de l’individuel, de l’intéressant, de la recherche insatiable et toujours insatisfaite du neuf, du piquant, du frappant. »

Au XIXème siècle, la peinture occidentale commence à transgresser le grand modèle de beauté : Goya dans ses Pinturas negras (1819-1823) donne à voir des visions d’horreur, mais qui, relevant de l’esthétique, indiquent que les frontières entre le beau et le laid peuvent localement s’effondrer.

Puis les impressionnistes, Van Gogh, Cézanne, révèlent des types de beauté très différents des canons classiques, et, par la suite, peinture et musique s’emploient à disloquer les formes et à faire apparaître en même temps une nouvelle sensibilité, un nouveau genre de beauté dans la disharmonie. Rimbaud, dans Une saison en enfer, écrit : Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. »

La beauté classique tend elle à disparaître des arts ? Ou plutôt, n’y a-t-il pas, comme dans l’univers archaïque, mais de façon nouvelle et différente, une indifférenciation de la beauté dans des œuvres qui expriment en même temps une vision, une vérité, un message ? Beauté et laideur cessent d’être antinomiques : on trouve beauté dans laideur et laideur dans beauté, ce qui fait que la beauté ne serait pas éliminée, mais incluse dans un complexe qui porterait son contraire.

La recherche de l’authenticité, dit-on, prime sur la recherche de la beauté, mais l’authenticité n’a-t-elle pas acquis une qualité esthétique pour ses fervents ? Il y a aussi un au-delà de la beauté, au sens classique du terme, où l’émotion peut surgir d’une horreur esthétisée. Aristote avait compris que la tragédie grecque, en provoquant terreur et pitié, insufflait chez le spectateur un sentiment profond de caractère libérateur qu’il nommait purgation ou catharsis. Nous reviendrons sur ce caractère particulier de l’esthétique qui permet de transfigurer la souffrance, le malheur, la mort en émotions bienheureuses sans pourtant les éliminer – au contraire en les mettant en relief. Le théâtre élisabéthain et shakespearien, le théâtre de Corneille et Racine, le drame romantique comme Hernani, l’opéra, tragique par nature, enfin les films de violence, torture, souffrance nous font à la fois du bien et du mal, le bien enveloppant et domestiquant le mal.

La guerre a souvent été esthétisée dans les tableaux de bataille, mais nous sommes entrés dans une époque où des combattants ont pu l’esthétiser, comme Apollinaire dans cette phrase audacieuse : « Dieu ! Que la guerre est jolie », alors qu’elle apparut surtout aux combattants qui l’ont subie comme un ensemble d’horreurs. Le cinéma a créé une esthétique de la guerre qui y est à la fois abominable et admirable, et qui nous procure de grandes émotions : pas seulement des sentiments d’effroi, d’horreur ou de pitié, mais aussi un plaisir, voire une jouissance proprement esthétique. Les grands films de guerre nous incitent à l’exécration de la guerre, tout en nous procurant une fascination esthétique, depuis À l’Ouest rien de nouveau, Quatre de l’infanterie, Les Croix de bois, en passant par Le jour le plus long, jusqu’au superbe et terrible La Ligne rouge de Terrence Malick.

Jean Baudrillard a osé exprimer l’esthétique de la destruction des deux tours de Manhattan, que nous avons occultée sous l’horreur de l’hécatombe humaine. Je me suis dissimulé l’esthétique de cette image incroyable qu’on voyait et revoyait obsessionnellement sur les écrans, je les ai camouflée sous l’émotion éthique, mais c’est vrai qu’il y a une esthétique de la catastrophe dans le spectacle de ces tours géantes percutées comme dans un songe par deux avions surgis de nulle part, puis saisies par les flammes et s’effondrant. Le cinéma use et abuse de l’esthétique de la catastrophe, mais dans des fictions réalistes et non dans le réel comme cela fut le 11 septembre 2001.

Il s’est développé aussi une esthétique du guerrier qui lutte pour la beauté du combat et non tant pour une cause : que ce soit dans Orages d’acier d’Ernst Jünger qui décrit la fascination que l’expérience de la Première Guerre mondiale a exercée sur lui, ou encore dans Les Réprouvés d’Ernst von Salomon qui exalte comme épopée les guerre des corps francs allemands de la Baltique, ou enfin dans Les Conquérants d’André Malraux où le révolutionnaire se confond avec un aventurier esthète. La tragédie grecque, le drame élisabéthain, la littérature et enfin le cinéma ont esthétisé l’horreur et la terreur, qui effectivement nous terrifient mais où la conscience d’être au spectacle rend le supplice ou la mort inoffensifs.

Edgard Morin, Sur l’esthétique, Paris, Robert Laffont, 2016, pp. 23-27.

Un exemple à travers l'oeuvre de Gabriel Chevallier :

« En fouillant hors des boyaux, je découvris dans le sous-sol d’une maison deux cadavres allemands très anciens. Ces hommes avaient dû être blessés par des grenades et murés ensuite, dans la précipitation du combat. Dans ce lieu privé d’air, ils ne s’étaient pas décomposés, mais racornis, et un récent obus avait éventré cette tombe et dispersé leurs dépouilles. Je demeurai en leur compagnie, les retournant d’un bâton, sans haine ni irrespect, plutôt poussé par une sorte de pitié fraternelle, comme pour leur demander de me livrer le secret de leur mort. Les uniformes aplatis semblaient vides. De ces ossements épars ne subsistait vraiment qu’une demi-tête, un masque, mais d’une horreur magnifique. Sur ce masque, les chairs s’étaient détachées et verdies, en prenant les tons sombres d’un bronze patiné par le temps. Une orbite rongée était creuse, et, sur ses bords, avait coulé, comme des larmes, une pâte durcie qui devait être de la cervelle. C’était le seul défaut qui gâtât l’ensemble, mais peut-être y ajoutait-il, comme la lèpre de l’usure ajoute aux statues antiques dont elle a entamé la pierre. On eût dit qu’une main pieuse avait fermé l’œil, et, sous la paupière, on devinait le contour lisse et le volume de son globe. La bouche s’était crispée dans les derniers appels de la terrible agonie, avec un rictus des lèvres découvrant les dents, grande ouverte, pour cracher l’âme comme un caillot. J’aurais voulu emporter ce masque que la mort avait modelé, sur lequel son génie fatal avait réalisé une synthèse de la guerre, afin qu’on en fit un moulage qu’on eût distribué aux femmes et aux enthousiastes. Du moins, j’en pris un croquis que je conserve dans mon portefeuille, mais il n’exprime pas cette horreur sacrée que m’inspire le modèle. Ce crâne mettait dans le clair-obscur des ruines une grandeur dont je ne pouvais me détacher, et je ne partis que lorsque le jour qui déclinait entoura d’ombres indistinctes les reflets du front, des pommettes et des dents, le transforma en un Asiatique ricanant ».

Gabriel Chevallier, La Peur, Paris, Éditions Le dilettante, 2008, pp. 66-67.

 

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25 janvier 2017

Histoire des Arts

Le beau et le laid selon Edgar Morin

Notre civilisation occidentale a longtemps cru que ses canons de beauté étaient universels. En matière de sculpture et de peinture, la beauté grecque illustrée par Praxitèle a été conçue comme le modèle de toute beauté, et c’est en le suivant que les peintres de la Renaissance puis de l’époque classique ont produit leurs œuvres.

Nous avons cru universelle la conception classique de la beauté ainsi dégagée, qui comporte harmonie et régularité. Elle peut commencer à s’exprimer dans la joliesse, elle peut accéder à la splendeur, elle exclut toute scorie, toute difformité, toute laideur. Dans cette conception classique, il y a antinomie entre le beau et le laid.

En un sens, l’occidentalisation du monde, effectuée au cours de l’ère planétaire, a semblé confirmer cette universalité en diffusant, installant et acclimatant dans les autres continents ses propres productions de beauté, peinture, musique, littérature. Mais si l’universalisation de l’esthétique occidentale de beauté fait qu’on admire La Joconde à Tokyo, cette universalisation n’a pas annulé les types proprement japonais de beauté.

Le même processus de planétarisation nous a fait découvrir et reconnaître comme belles des œuvres dont les critères de beauté étaient très différents : nous avons esthétisé l’art africain en dépouillant les masques et les statues de leur finalité pour les considérer comme des œuvres d’art, mais en même temps nous avons reconnu beau ce qui était considéré comme étrange, bizarre, voire laid.

C’est Friedrich Schlegel qui le premier a pointé la question de la laideur comme problème central dans l’esthétique, et notamment dans la littérature moderne. Il a écrit : « Le laid est la prédominance totale du caractéristique, de l’individuel, de l’intéressant, de la recherche insatiable et toujours insatisfaite du neuf, du piquant, du frappant. »

Au XIXème siècle, la peinture occidentale commence à transgresser le grand modèle de beauté : Goya dans ses Pinturas negras (1819-1823) donne à voir des visions d’horreur, mais qui, relevant de l’esthétique, indiquent que les frontières entre le beau et le laid peuvent localement s’effondrer.

Puis les impressionnistes, Van Gogh, Cézanne, révèlent des types de beauté très différents des canons classiques, et, par la suite, peinture et musique s’emploient à disloquer les formes et à faire apparaître en même temps une nouvelle sensibilité, un nouveau genre de beauté dans la disharmonie. Rimbaud, dans Une saison en enfer, écrit : Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. »

La beauté classique tend elle à disparaître des arts ? Ou plutôt, n’y a-t-il pas, comme dans l’univers archaïque, mais de façon nouvelle et différente, une indifférenciation de la beauté dans des œuvres qui expriment en même temps une vision, une vérité, un message ? Beauté et laideur cessent d’être antinomiques : on trouve beauté dans laideur et laideur dans beauté, ce qui fait que la beauté ne serait pas éliminée, mais incluse dans un complexe qui porterait son contraire.

La recherche de l’authenticité, dit-on, prime sur la recherche de la beauté, mais l’authenticité n’a-t-elle pas acquis une qualité esthétique pour ses fervents ? Il y a aussi un au-delà de la beauté, au sens classique du terme, où l’émotion peut surgir d’une horreur esthétisée. Aristote avait compris que la tragédie grecque, en provoquant terreur et pitié, insufflait chez le spectateur un sentiment profond de caractère libérateur qu’il nommait purgation ou catharsis. Nous reviendrons sur ce caractère particulier de l’esthétique qui permet de transfigurer la souffrance, le malheur, la mort en émotions bienheureuses sans pourtant les éliminer – au contraire en les mettant en relief. Le théâtre élisabéthain et shakespearien, le théâtre de Corneille et Racine, le drame romantique comme Hernani, l’opéra, tragique par nature, enfin les films de violence, torture, souffrance nous font à la fois du bien et du mal, le bien enveloppant et domestiquant le mal.

La guerre a souvent été esthétisée dans les tableaux de bataille, mais nous sommes entrés dans une époque où des combattants ont pu l’esthétiser, comme Apollinaire dans cette phrase audacieuse : « Dieu ! Que la guerre est jolie », alors qu’elle apparut surtout aux combattants qui l’ont subie comme un ensemble d’horreurs. Le cinéma a créé une esthétique de la guerre qui y est à la fois abominable et admirable, et qui nous procure de grandes émotions : pas seulement des sentiments d’effroi, d’horreur ou de pitié, mais aussi un plaisir, voire une jouissance proprement esthétique. Les grands films de guerre nous incitent à l’exécration de la guerre, tout en nous procurant une fascination esthétique, depuis À l’Ouest rien de nouveau, Quatre de l’infanterie, Les Croix de bois, en passant par Le jour le plus long, jusqu’au superbe et terrible La Ligne rouge de Terrence Malick.

Jean Baudrillard a osé exprimer l’esthétique de la destruction des deux tours de Manhattan, que nous avons occultée sous l’horreur de l’hécatombe humaine. Je me suis dissimulé l’esthétique de cette image incroyable qu’on voyait et revoyait obsessionnellement sur les écrans, je les ai camouflée sous l’émotion éthique, mais c’est vrai qu’il y a une esthétique de la catastrophe dans le spectacle de ces tours géantes percutées comme dans un songe par deux avions surgis de nulle part, puis saisies par les flammes et s’effondrant. Le cinéma use et abuse de l’esthétique de la catastrophe, mais dans des fictions réalistes et non dans le réel comme cela fut le 11 septembre 2001.

Il s’est développé aussi une esthétique du guerrier qui lutte pour la beauté du combat et non tant pour une cause : que ce soit dans Orages d’acier d’Ernst Jünger qui décrit la fascination que l’expérience de la Première Guerre mondiale a exercée sur lui, ou encore dans Les Réprouvés d’Ernst von Salomon qui exalte comme épopée les guerre des corps francs allemands de la Baltique, ou enfin dans Les Conquérants d’André Malraux où le révolutionnaire se confond avec un aventurier esthète. La tragédie grecque, le drame élisabéthain, la littérature et enfin le cinéma ont esthétisé l’horreur et la terreur, qui effectivement nous terrifient mais où la conscience d’être au spectacle rend le supplice ou la mort inoffensifs.

Edgard Morin, Sur l’esthétique, Paris, Robert Laffont, 2016, pp. 23-27.

Un exemple à travers l'oeuvre de Gabriel Chevallier :

« En fouillant hors des boyaux, je découvris dans le sous-sol d’une maison deux cadavres allemands très anciens. Ces hommes avaient dû être blessés par des grenades et murés ensuite, dans la précipitation du combat. Dans ce lieu privé d’air, ils ne s’étaient pas décomposés, mais racornis, et un récent obus avait éventré cette tombe et dispersé leurs dépouilles. Je demeurai en leur compagnie, les retournant d’un bâton, sans haine ni irrespect, plutôt poussé par une sorte de pitié fraternelle, comme pour leur demander de me livrer le secret de leur mort. Les uniformes aplatis semblaient vides. De ces ossements épars ne subsistait vraiment qu’une demi-tête, un masque, mais d’une horreur magnifique. Sur ce masque, les chairs s’étaient détachées et verdies, en prenant les tons sombres d’un bronze patiné par le temps. Une orbite rongée était creuse, et, sur ses bords, avait coulé, comme des larmes, une pâte durcie qui devait être de la cervelle. C’était le seul défaut qui gâtât l’ensemble, mais peut-être y ajoutait-il, comme la lèpre de l’usure ajoute aux statues antiques dont elle a entamé la pierre. On eût dit qu’une main pieuse avait fermé l’œil, et, sous la paupière, on devinait le contour lisse et le volume de son globe. La bouche s’était crispée dans les derniers appels de la terrible agonie, avec un rictus des lèvres découvrant les dents, grande ouverte, pour cracher l’âme comme un caillot. J’aurais voulu emporter ce masque que la mort avait modelé, sur lequel son génie fatal avait réalisé une synthèse de la guerre, afin qu’on en fit un moulage qu’on eût distribué aux femmes et aux enthousiastes. Du moins, j’en pris un croquis que je conserve dans mon portefeuille, mais il n’exprime pas cette horreur sacrée que m’inspire le modèle. Ce crâne mettait dans le clair-obscur des ruines une grandeur dont je ne pouvais me détacher, et je ne partis que lorsque le jour qui déclinait entoura d’ombres indistinctes les reflets du front, des pommettes et des dents, le transforma en un Asiatique ricanant ».

Gabriel Chevallier, La Peur, Paris, Éditions Le dilettante, 2008, pp. 66-67.

21 janvier 2017

Enseigner au collège et au lycée

La coopération entre élèves : des recherches aux pratiques

par Catherine Reverdy
Chargée d'études et de recherche à l'unité Veille et Analyses - IFÉ

À l’heure où le travail en équipe, l’intelligence collective et le travail collaboratif en projet sont ancrés dans le monde du travail, que les idées de collectifs citoyens, de fablabs et d’échanges de savoirs se développent, que se passe-t-il à l’école ? Comment la coopération est-elle envisagée ? Comment les compétences des élèves à coopérer sont-elles travaillées ?

Ce Dossier interroge la manière de mettre en œuvre la coopération dans les classes, à l’appui des recherches en éducation. Il y a de nombreux paramètres qui entrent en jeu lors des situations de coopération entre élèves, comme l’influence des relations et des tensions entre élèves, la place sociale accordée à chaque élève, l’habitude de la classe à coopérer, le contexte culturel de chaque pays qui incite plus ou moins explicitement les élèves à s’engager collectivement dans l’apprentissage, ou au contraire à travailler de manière plus individuelle, etc. Ce Dossier fait le point sur les avancées des recherches (en psychologie, en sciences de l’éducation, en didactique…) autour de la question de la coopération entre élèves, notamment par l’examen des relations entre la coopération et l’apprentissage : les élèves apprennent-ils mieux à plusieurs ? Faut-il plutôt un accord ou un désaccord entre les élèves pour qu’ils puissent chacun exprimer leur point de vue et comprendre celui des autres élèves ? Comment étudier les échanges entre eux pour trouver les traces d’un éventuel apprentissage ?

Côté enseignement, pour mettre en place cet apprentissage coopératif, l’enseignant.e peut organiser les situations de coopération selon différentes modalités qui dépendent des objectifs d’apprentissage visés : ce peut être le tutorat, où un.e élève est expert.e, l’autre novice ; ou encore l’aide spontanée entre les élèves, pour pallier aux difficultés ponctuelles. Mais la coopération évoque d’abord le travail en petits groupes autour d’une activité précise : comment choisir les élèves des groupes ? Combien en faut-il par groupe ? Quelles sont les activités qui nécessitent une situation de coopération ? Faut-il utiliser un système de récompense pour motiver les groupes ? Autant de questions qu’aborde ce Dossier de veille, en explicitant la manière dont les recherches sur l’apprentissage en coopération peuvent nourrir les différentes pratiques existantes, et comment elles s’inspirent en même temps de ces pratiques, rendant par là-même vaine et simpliste toute tentative d’application directe des unes vers les autres.

La laïcité

 

La laïcité, étymologiquement, c'est l'unité du peuple (le laos) autour de valeurs partagées... 

LA LAÏCITÉ FRANÇAISE

 

Parcours citoyen

 

"L'École est à la fois le lieu où s'acquièrent les connaissances et les compétences nécessaires pour vivre et s'insérer dans la société et celui où se mettent en place des pratiques et des habitudes permettant à chaque enfant et adolescent de devenir un citoyen libre, responsable et engagé, habitant d'une planète commune.

 

Dans le cadre scolaire, l'apprentissage de la citoyenneté se conçoit comme un parcours cohérent ; il s'impose comme un projet de l'élève et pour l'élève qui doit l'amener à comprendre le sens de la notion de citoyenneté et lui donner envie de l'exercer pleinement. Il s'agit donc de mettre en œuvre une véritable action éducative de longue durée qui s'inscrit dans le projet global de formation. Le parcours citoyen doit être explicité aux élèves afin qu'ils en comprennent le sens.

 

Tout au long de sa scolarité, l'élève fait l'expérience d'un lieu particulier, l'école puis l'établissement, où l'on apprend ensemble, dans le respect de principes qui permettent à chacun de s'épanouir et de connaitre et reconnaitre les autres. L'élève trouve sa place dans le groupe, la classe au premier chef, sans renoncer pour autant à sa singularité. Il y apporte ses connaissances, sa culture, tout en intégrant les exigences et les objectifs communs de l'école.

 

Pendant la plus grande durée de ce parcours, l'élève est un citoyen en devenir qui prend progressivement conscience de ses droits, de ses devoirs et de ses responsabilités. Il expérimente au contact des autres ses capacités à agir et à collaborer, les exerce et les améliore à l'occasion de différentes activités. Le parcours permet aussi à l'élève d'apprendre à accepter la diversité des opinions ainsi que les désaccords, en privilégiant l'écoute et le débat. Il lui donne les moyens d'adopter un comportement réfléchi et responsable et de développer son esprit critique.

 

L'ensemble de la communauté éducative a la responsabilité de construire et de faire vivre le parcours citoyen, en assurant la convergence, la continuité et la progressivité des enseignements, des dispositifs et des projets. Pour y parvenir elle dispose de temps de concertation au sein d'instances existantes : conseil de cycle, conseil école-collège, conseil pédagogique, comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, comité départemental d'éducation à la santé et à la citoyenneté et comité académique d'éducation à la santé et à la citoyenneté.

 

Le parcours prend également appui sur la participation de l'élève à la vie sociale et démocratique de la classe et de l'école ou de l'établissement, sur son sens de l'initiative et sa capacité d'engagement. Il bénéficie des liens noués avec des intervenants, des membres de la réserve citoyenne et tous autres partenaires extérieurs. Le parcours citoyen prend place dans le projet d'école et le projet d'établissement, qui s'inscrivent dans les grandes orientations de la politique éducative". (http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=103533).

 

 

 

Enquêtes

Les enjeux de la construction d'une histoire scolaire (IFE, mars 2016)

Dans ce Dossier de veille de l’IFÉ, nous avons cherché à croiser la problématique de la construction de l’histoire scolaire et celle de sa réception par les élèves et les enseignants. Si l’on se réfère à la construction de l’histoire scolaire, de ses contenus, depuis le XIXe siècle, on constate que les motivations institutionnelles sont d’ordre politiques. La majorité des travaux mentionnent le rôle d’instrument des politiques publiques de l’enseignement de l’histoire. Pour que fonctionne cet instrument, il faut que ses utilisateurs le perçoivent comme tel, en considérant « l’histoire » comme un savoir commun à acquérir. Or, on constate un décalage entre les préconisations institutionnelles, les représentations des enseignants et ce que retiennent les élèves, à différents moments de l’enseignement obligatoire.
La formation à l’esprit critique, l'apprentissage d'une conscience historique, mis en avant dans les curriculums, peine à trouver sa légitimité vis-à-vis des contenus, pratiques et cultures divergents (Télécharger la version intégrale du dossier (fichier PDF)

Cedre 2012 Histoire-géographie et éducation civique en fin d'école et de collège

Les évaluations du Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon (Cedre), conduites par le bureau de l’évaluation des élèves de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (dePP-B2) ont pour objectif de faire le point sur les connaissances et les compétences des élèves dans des disciplines (domaine cognitif) ou des attitudes (domaine conatif), en fin d’école primaire et en fin de collège, au regard des objectifs fixés par les programmes d’enseignement.

Ces évaluations donnent une photographie instantanée de ce que savent et savent faire les élèves à la fin d’un cursus scolaire. en ce sens, il s’agit d’un bilan. destinées à être renouvelées périodiquement, elles permettent également de disposer d’un suivi de l’évolution des acquis des élèves dans le temps.

la première partie du présent dossier décrit les modalités et analyse les résultats de l’évaluation Cedre 2012 en fin d’école (CM2). la seconde partie est symétriquement consacrée à l’étude Cedre 2012 pour le collège (troisième). Il est à noter que la distance entre le contexte de publication du présent dossier et les programmes de 1995 (sixième) - 1998 (troisième) encore en vigueur pour les élèves de l’échantillon évalué, a conduit à une présentation nécessairement plus synthétique pour le collège. en effet, les programmes de 2008 sont entrés en vigueur pour les classes de troisième à la rentrée de septembre 2012, soit quelques mois après la passation de l’évaluation Cedre. en revanche, pour l’école, en 2012, les élèves avaient suivi les programmes redéfinis en 2008.

 http://www.education.gouv.fr/cid98356/cedre-2012-histoire-geographie-et-education-civique-en-fin-d-ecole-et-de-college.html

 

Curricula

Collège, mieux apprendre pour mieux réussir

"Après des années qui ont vu sa place et son rôle mis en cause à mesure que ses moyens s’amoindrissaient et que sa performance se dégradait, l’école est engagée dans une refondation globale qui est au cœur du redressement de notre pays voulu par le Président de la République. L'enjeu de cette refondation tient dans ce double défi de rétablir la performance du système éducatif, en assurant la réussite du plus grand nombre et en luttant contre le déterminisme social, et de rendre à l’école sa mission de transmettre et de faire partager les valeurs de la République. 

La loi du 8 juillet 2013 a déjà permis d’engager des évolutions positives, concentrées sur le premier degré, là où se forment les premières inégalités d’apprentis- sage. Aujourd’hui, nous devons prolonger la refondation en imaginant une nouvelle organisation du collège, opérationnelle dès la rentrée 2016. 

Les évaluations nationales et internationales sont sans appel : le collège aggrave la difficulté scolaire, particulièrement dans les disciplines fondamentales. Sans mettre en cause la compétence et l'engagement des enseignants, force est aujourd’hui de reconnaître lucidement que le collège cristallise les défauts de notre système éducatif. Il est profondément inégalitaire, triant les élèves davantage qu’il ne les ac- compagne dans la réussite. Il est monolithique dans son approche disciplinaire, suscitant parfois l’ennui, voire la perte du goût pour le travail et l’effort. Il est inadapté au développement des compétences indispensables à la future insertion des collégiens et peu efficace sur l’orientation et la lutte contre le décrochage. En définitive, le collège actuel est souvent peu motivant pour les élèves, anxiogène pour les parents et frustrant pour les professeurs, auxquels il ne laisse que peu d’autonomie. 

Pour sortir de l’impasse actuelle, qui annihile la pro- messe républicaine d’égalité de l’école, et redonner sa pertinence, 40 ans après sa création, à l’ambition républicaine du collège unique, j’ai engagé une démarche pragmatique et globale. 

Pragmatique, parce que je veux d’abord partir de ce qui marche déjà sur le terrain, libérer les capacités d’initiatives des enseignants et leur traduire cette confiance et ce soutien dans une nouvelle organisation plus responsabilisante et collective. 

Globale, parce que nous devons repenser en même temps les contenus, les pratiques d'enseignement et l’organisation pédagogique pour ré- pondre aux enjeux du collège de 2016, qui devra mieux enseigner les savoirs fondamentaux, former à d'autres compétences et assouplir le fonctionnement quotidien pour sortir de l’uniformité et s’adapter à la diversité des besoins des élèves. 

C’est cette réforme que vous présente le dossier suivant. Une réforme porteuse d’un impératif qui est plus qu’une ambition : assurer un même niveau d’exi- gence pour que tous les élèves acquièrent le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, par une priorité centrale donnée à la maîtrise des savoirs fondamentaux.

C’est cet impératif qui guide la refonte de l’ensemble des programmes engagée en cohérence avec le nou- veau socle commun. Des programmes plus clairs pour des compétences et des savoirs fondamentaux mieux identifiés et mieux enseignés, c’est l’intérêt partagé des professeurs et des élèves. 

C’est ce même impératif qui doit nous conduire à amé- liorer la façon de transmettre pour les professeurs et d’apprendre pour les élèves, en donnant aux équipes une marge de manœuvre de 20 % du temps d’enseignement, dans le respect des horaires disciplinaires. Ce temps dédié à un apprentissage différent des savoirs fon- damentaux, par le travail en petits groupes, des enseignements pratiques interdisciplinaires ou un accompagnement individuel particulièrement renfor- cé en 6e, est au cœur de la nouvelle organisation du collège. Il répond aux défis pédagogiques du collège de demain, qui nécessitent des apprentissages en rapport avec les formes simples et coopéra- tives d’accès aux savoirs de notre société. Dans le même esprit, le développement du numérique dans toutes ses dimensions, l’apprentissage d’une première langue vivante dès le CP puis d’une seconde langue vivante dès la 5e correspondent à leur importance décisive dans la vie sociale et le monde du travail contemporains. 

Avec cette réforme qui pour la première fois concerne simultanément les programmes et les méthodes d’ap- prentissage, je veux que le collège permette à tous les élèves de «mieux apprendre pour mieux réussir», en maîtrisant les savoirs fondamentaux et en développant les compétences du monde actuel. Qu’il permette éga- lement de mieux apprendre avec plus de confiance dans les enseignants, plus d’autonomie pédagogique, plus de capacité d’adaptation aux besoins divers des élèves. Qu’il soit enfin un collège de l’épanouissement et de la citoyenneté, qui crée du commun et fasse vivre les valeurs de la République. 

La consultation qui s’ouvre doit permettre de rassembler et de mobiliser l’ensemble de la communauté éducative vers ce collège de 2016, plus performant pour la maîtrise des savoirs fondamentaux, plus stimulant pour les élèves sur la manière d’apprendre, plus confiant dans l’autonomie renforcée des équipes éducatives, plus adapté aux né- cessités du monde de demain, plus soutenant pour tous les élèves afin d’accompagner la réussite du plus grand nombre. 

Najat Vallaud-Belkacem, 

Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche 

College Mieux apprendre pour mieux reussir

Les programmes de collège

Ressources Histoire classe de troisième

Ressources Géographie classe de troisème

La carte est une représentation réduite d’une partie de la surface de la Terre. Elle est le premier outil du géographe et il existe une très grande diversité des représentations cartographiques. Celles-ci ont cependant toutes pour objet de découvrir un territoire et d’indiquer sur celui-ci un ou plusieurs phénomènes. Globalement, cinq catégories de cartes peuvent être distinguées.

•   Les cartes de repérage sont nombreuses. Lorsque tout ce qui est vi­sible à la surface du sol est représenté (relief, cours d’eau, végétation, bâtiments, etc.), on parle de carte topographique. S’y trouvent également des indications telles que les limites administratives, la toponymie ou les distances. La carte topographique a une origine militaire : les États mo­dernes des XVIIe et XVIIIe siècles l’ont encouragée ; d’une grande préci­sion, elle permet la connaissance et la maîtrise du territoire. La carte des Cassini (père et fils), dressée sur ordre de Louis XIV, est la plus ancienne carte topographique du territoire national. Les relevés topographiques débutent en 1760 pour se terminer à la veille de la Révolution en 1789. Extrêmement précise, la carte a été réalisée à l’échelle « d’une ligne pour cent toises », soit 1/86 400e. Au XIXe siècle, la fameuse carte d’état-major met en évidence l’utilité militaire de la carte topographique : les coteaux et les bois sont précisément décrits, alors que les ouvrages militaires ne sont pas représentés…

Au-delà des difficultés de lecture (notamment de la légende, souvent trop détaillée pour les élèves du primaire), il faut savoir utiliser les cartes topographiques en classe car elles permettent un réel apprentissage de la géographie : localisation, analyse des grandes formes du relief, travail autour des noms des lieux, etc. Ces cartes donnent un détail qui varie en fonction de l’échelle choisie.

La France est couverte par quatre types de cartes publiés par l’Institut géographique national (IGN) :

– la carte au 1/25 000e ou série bleue (la France en 2 000 cartes) ;

– la carte au 1/50 000e ou série orange (la France en 1 100 cartes) ;

– la carte au 1/100 000e ou série verte (la France en 74 cartes) ;

– la carte au 1/250 000e ou série rouge (la France en 16 cartes).

Les autres cartes de repérage mettent l’accent sur un phénomène parti­culier : la nature des roches (carte géologique), le temps à venir (carte météorologique), les voies de circulation (carte routière), etc.

•   Les cartes thématiques sont, elles, plurielles. Il existe autant de cartes thématiques qu’il existe de thèmes à cartographier. Majoritairement pré­sentes dans les manuels scolaires, elles sont la traduction spatiale d’une analyse géographique. Ces cartes peuvent être simplement descriptives lorsqu’elles représentent un phénomène donné (carte des densités), ou bien de synthèse lorsqu’elles vont croiser des informations pour faire passer du sens. 

Le croquis permet, à l’aide d’un fond de carte, de mettre en œuvre une démarche analytique qui impose de mobiliser des connaissances, de les classer, de les hiérarchiser et de les mettre en relation dans une perspective dynamique. Le travail de cartographe demande une précision à laquelle ne peuvent prétendre professeurs et élèves dans le cadre d’une leçon, alors que, selon l’inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) Michel Lextreyt, réaliser un croquis est un acte pédagogique qui aide à montrer l’organisation et la différenciation de l’espace en essayant de conserver (mais de manière plus approximative) l’essentiel des éléments de repérage. En classe, on construit donc des croquis mais jamais des cartes.

L’objectif du croquis est de mettre en évidence les faits essentiels d’une situation géographique : localisation, configuration, éléments majeurs ; éventuellement, leurs relations, leurs évolutions. Le document doit être simple et facile à lire, schématique sans être caricatural. À cette fin, il faut respecter quelques principes de base : le croquis doit avoir une orientation, une échelle, un titre et une lé­gende ; les contours doivent être simplifiés ; le nombre d’éléments doit être limité et les modes de représentation doivent respecter les conventions (hydrographie en bleu) ; l’importance relative d’un fait peut être un peu grossie en fonction de son importance ; le travail doit être soigné.

•   Le schéma est plus simple que le croquis dans sa réalisation gra­phique ; il y a une réelle simplification des tracés et des contenus. Son élaboration fait cependant appel à un niveau de conceptualisation bien plus important. L’intérêt du schéma est la mise en évidence d’une dyna­mique, d’une structure. Il intervient logiquement dans une démarche pé­dagogique cohérente (de la carte au schéma) et reste, au cycle 3, élaboré essentiellement par l’enseignant.

•   Le modèle est une représentation théorique de la réalité. L’intérêt du modèle ne réside pas seulement dans la simplification ; il recherche plutôt, comme l’écrit Roger Brunet, à « exprimer la structure et la dynamique » (Roger Brunet, La Carte mode d’emploi, Paris, Fayard–Reclus, 1990). En s’affranchissant des contingences de la carte (échelle, réalisme, etc.), le modèle dresse des hypothèses sur l’organisation de l’espace. Notons qu’il est possible d’élaborer avec les élèves des modèles simples. Ce travail leur permet véritablement de construire leurs savoirs, notamment par le biais de la conceptualisation.

•   La carte mentale est la représentation subjective d’une personne sur son environnement spatial. Elle a un intérêt pédagogique dans la mesure où elle renseigne sur la perception et l’interprétation d’un espace. Pierre Giolitto rappelle que ces cartes révèlent la lecture que l’élève fait de son environnement – lecture à la fois sociale, sentimentale et symbolique, et qui évolue avec son âge et son niveau de connaissance –, ainsi que la manière dont il vit cet environnement. Elles aident ainsi l’enseignant à choisir la meilleure voie, pour faire accéder l’élève à une connaissance rationnelle de son milieu de vie. Ajoutons que, comme les erreurs commises par les élèves, les cartes mentales permettent de déceler les structures cognitives des apprenants, ce qui guide l’enseignant dans le choix de ses stratégies d’apprentissage. (Pierre Giolitto, Enseigner la géographie à l’école, Paris, Hachette,1992)

Quels que soient les types de cartes abordés, n’oublions pas qu’il existe des impératifs à la lecture ou à la construction de ces documents.

•   Un titre. C’est un indice important : il renseignera dès le départ sur le territoire et le phénomène qui est présenté.

•   Une échelle. Elle donne la dimension de l’espace à traiter et permet une vision pertinente et adaptée d’un problème à résoudre.

•   Une nomenclature. Il s’agit de noms de lieux ou de faits qui permettent de se repérer.

•   Une légende. Véritable mode d’emploi de la carte, elle est fondamen­tale pour sa lisibilité et sa compréhension.

•   Une orientation. Elle permet un repérage global et/ou précis, notam­ment lorsque les projections diffèrent.

•   Des figurés. Il s’agit d’un langage cartographique adapté (point, flèche, trame de surface, etc.) qui permet de traduire graphiquement sur une carte un phénomène géographique.

Ressources en Education civique classe de Troisième

Les programmes de lycée

Ressources en géographie classe de seconde

Ressources en histoire classe de seconde (Démarches et mise en oeuvre)

Baccalauréat

Au bac la faute était dans l'énoncé d'histoire géographie

Bibliographie en didactique de l'histoire

Adaptation des programmes à La Réunion

Les inégalités de développement dans le sud ouest de l'océan indien.
Les inégalités de développement

La croissance et l'évolution des niveaux de vie à la Réunion dans la seconde moitié du XX siècle. 
La croissance et l'évolution des niveaux de vie

21 janvier 2017

Enseigner au lycée professionnel

La coopération entre élèves : des recherches aux pratiques

par Catherine Reverdy
Chargée d'études et de recherche à l'unité Veille et Analyses - IFÉ

À l’heure où le travail en équipe, l’intelligence collective et le travail collaboratif en projet sont ancrés dans le monde du travail, que les idées de collectifs citoyens, de fablabs et d’échanges de savoirs se développent, que se passe-t-il à l’école ? Comment la coopération est-elle envisagée ? Comment les compétences des élèves à coopérer sont-elles travaillées ?

Ce Dossier interroge la manière de mettre en œuvre la coopération dans les classes, à l’appui des recherches en éducation. Il y a de nombreux paramètres qui entrent en jeu lors des situations de coopération entre élèves, comme l’influence des relations et des tensions entre élèves, la place sociale accordée à chaque élève, l’habitude de la classe à coopérer, le contexte culturel de chaque pays qui incite plus ou moins explicitement les élèves à s’engager collectivement dans l’apprentissage, ou au contraire à travailler de manière plus individuelle, etc. Ce Dossier fait le point sur les avancées des recherches (en psychologie, en sciences de l’éducation, en didactique…) autour de la question de la coopération entre élèves, notamment par l’examen des relations entre la coopération et l’apprentissage : les élèves apprennent-ils mieux à plusieurs ? Faut-il plutôt un accord ou un désaccord entre les élèves pour qu’ils puissent chacun exprimer leur point de vue et comprendre celui des autres élèves ? Comment étudier les échanges entre eux pour trouver les traces d’un éventuel apprentissage ?

Côté enseignement, pour mettre en place cet apprentissage coopératif, l’enseignant.e peut organiser les situations de coopération selon différentes modalités qui dépendent des objectifs d’apprentissage visés : ce peut être le tutorat, où un.e élève est expert.e, l’autre novice ; ou encore l’aide spontanée entre les élèves, pour pallier aux difficultés ponctuelles. Mais la coopération évoque d’abord le travail en petits groupes autour d’une activité précise : comment choisir les élèves des groupes ? Combien en faut-il par groupe ? Quelles sont les activités qui nécessitent une situation de coopération ? Faut-il utiliser un système de récompense pour motiver les groupes ? Autant de questions qu’aborde ce Dossier de veille, en explicitant la manière dont les recherches sur l’apprentissage en coopération peuvent nourrir les différentes pratiques existantes, et comment elles s’inspirent en même temps de ces pratiques, rendant par là-même vaine et simpliste toute tentative d’application directe des unes vers les autres.

La laïcité

 

 La laïcité, étymologiquement, c'est l'unité du peuple (le laos) autour de valeurs partagées... 

 

Parcours citoyen

L'École est à la fois le lieu où s'acquièrent les connaissances et les compétences nécessaires pour vivre et s'insérer dans la société et celui où se mettent en place des pratiques et des habitudes permettant à chaque enfant et adolescent de devenir un citoyen libre, responsable et engagé, habitant d'une planète commune.

 

Dans le cadre scolaire, l'apprentissage de la citoyenneté se conçoit comme un parcours cohérent ; il s'impose comme un projet de l'élève et pour l'élève qui doit l'amener à comprendre le sens de la notion de citoyenneté et lui donner envie de l'exercer pleinement. Il s'agit donc de mettre en œuvre une véritable action éducative de longue durée qui s'inscrit dans le projet global de formation. Le parcours citoyen doit être explicité aux élèves afin qu'ils en comprennent le sens.

 

Tout au long de sa scolarité, l'élève fait l'expérience d'un lieu particulier, l'école puis l'établissement, où l'on apprend ensemble, dans le respect de principes qui permettent à chacun de s'épanouir et de connaitre et reconnaitre les autres. L'élève trouve sa place dans le groupe, la classe au premier chef, sans renoncer pour autant à sa singularité. Il y apporte ses connaissances, sa culture, tout en intégrant les exigences et les objectifs communs de l'école.

 

Pendant la plus grande durée de ce parcours, l'élève est un citoyen en devenir qui prend progressivement conscience de ses droits, de ses devoirs et de ses responsabilités. Il expérimente au contact des autres ses capacités à agir et à collaborer, les exerce et les améliore à l'occasion de différentes activités. Le parcours permet aussi à l'élève d'apprendre à accepter la diversité des opinions ainsi que les désaccords, en privilégiant l'écoute et le débat. Il lui donne les moyens d'adopter un comportement réfléchi et responsable et de développer son esprit critique.

 

L'ensemble de la communauté éducative a la responsabilité de construire et de faire vivre le parcours citoyen, en assurant la convergence, la continuité et la progressivité des enseignements, des dispositifs et des projets. Pour y parvenir elle dispose de temps de concertation au sein d'instances existantes : conseil de cycle, conseil école-collège, conseil pédagogique, comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, comité départemental d'éducation à la santé et à la citoyenneté et comité académique d'éducation à la santé et à la citoyenneté.

 

Le parcours prend également appui sur la participation de l'élève à la vie sociale et démocratique de la classe et de l'école ou de l'établissement, sur son sens de l'initiative et sa capacité d'engagement. Il bénéficie des liens noués avec des intervenants, des membres de la réserve citoyenne et tous autres partenaires extérieurs. Le parcours citoyen prend place dans le projet d'école et le projet d'établissement, qui s'inscrivent dans les grandes orientations de la politique éducative.

 

http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=103533

Programmes lycée professionnel

L'histoire des Arts au lycée professionnel : Recommandations HIDA

Quand la transversalité prend acte : Les enseignements généraux

Programmes de lettres :Synthèse Langue CAP BAC-PRO

 

9 décembre 2016

Pour les Master PE

La coopération entre élèves : des recherches aux pratiques

par Catherine Reverdy
Chargée d'études et de recherche à l'unité Veille et Analyses - IFÉ

À l’heure où le travail en équipe, l’intelligence collective et le travail collaboratif en projet sont ancrés dans le monde du travail, que les idées de collectifs citoyens, de fablabs et d’échanges de savoirs se développent, que se passe-t-il à l’école ? Comment la coopération est-elle envisagée ? Comment les compétences des élèves à coopérer sont-elles travaillées ?

Ce Dossier interroge la manière de mettre en œuvre la coopération dans les classes, à l’appui des recherches en éducation. Il y a de nombreux paramètres qui entrent en jeu lors des situations de coopération entre élèves, comme l’influence des relations et des tensions entre élèves, la place sociale accordée à chaque élève, l’habitude de la classe à coopérer, le contexte culturel de chaque pays qui incite plus ou moins explicitement les élèves à s’engager collectivement dans l’apprentissage, ou au contraire à travailler de manière plus individuelle, etc. Ce Dossier fait le point sur les avancées des recherches (en psychologie, en sciences de l’éducation, en didactique…) autour de la question de la coopération entre élèves, notamment par l’examen des relations entre la coopération et l’apprentissage : les élèves apprennent-ils mieux à plusieurs ? Faut-il plutôt un accord ou un désaccord entre les élèves pour qu’ils puissent chacun exprimer leur point de vue et comprendre celui des autres élèves ? Comment étudier les échanges entre eux pour trouver les traces d’un éventuel apprentissage ?

Côté enseignement, pour mettre en place cet apprentissage coopératif, l’enseignant.e peut organiser les situations de coopération selon différentes modalités qui dépendent des objectifs d’apprentissage visés : ce peut être le tutorat, où un.e élève est expert.e, l’autre novice ; ou encore l’aide spontanée entre les élèves, pour pallier aux difficultés ponctuelles. Mais la coopération évoque d’abord le travail en petits groupes autour d’une activité précise : comment choisir les élèves des groupes ? Combien en faut-il par groupe ? Quelles sont les activités qui nécessitent une situation de coopération ? Faut-il utiliser un système de récompense pour motiver les groupes ? Autant de questions qu’aborde ce Dossier de veille, en explicitant la manière dont les recherches sur l’apprentissage en coopération peuvent nourrir les différentes pratiques existantes, et comment elles s’inspirent en même temps de ces pratiques, rendant par là-même vaine et simpliste toute tentative d’application directe des unes vers les autres.

La laïcité

La laïcité, étymologiquement, c'est l'unité du peuple (le laos) autour de valeurs partagées... 

Enquêtes
Cedre 2012 Histoire-géographie et éducation civique en fin d'école et de collège

Les évaluations du Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon (Cedre), conduites par le bureau de l’évaluation des élèves de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (dePP-B2) ont pour objectif de faire le point sur les connaissances et les compétences des élèves dans des disciplines (domaine cognitif) ou des attitudes (domaine conatif), en fin d’école primaire et en fin de collège, au regard des objectifs fixés par les programmes d’enseignement.

Ces évaluations donnent une photographie instantanée de ce que savent et savent faire les élèves à la fin d’un cursus scolaire. en ce sens, il s’agit d’un bilan. destinées à être renouvelées périodiquement, elles permettent également de disposer d’un suivi de l’évolution des acquis des élèves dans le temps.

la première partie du présent dossier décrit les modalités et analyse les résultats de l’évaluation Cedre 2012 en fin d’école (CM2). la seconde partie est symétriquement consacrée à l’étude Cedre 2012 pour le collège (troisième). Il est à noter que la distance entre le contexte de publication du présent dossier et les programmes de 1995 (sixième) - 1998 (troisième) encore en vigueur pour les élèves de l’échantillon évalué, a conduit à une présentation nécessairement plus synthétique pour le collège. en effet, les programmes de 2008 sont entrés en vigueur pour les classes de troisième à la rentrée de septembre 2012, soit quelques mois après la passation de l’évaluation Cedre. en revanche, pour l’école, en 2012, les élèves avaient suivi les programmes redéfinis en 2008. 

Informations générales

 Les connaissances et compétences à acquérir dans le cadre du socle commun relèvent de cinq domaines de formation, dont l’ensemble définit les composantes de la culture commune : 

  • Les langages pour penser et communiquer
  • Les méthodes et outils pour apprendre
  • La formation de la personne et du citoyen
  • L’observation et la compréhension du monde
  • Les représentations du monde et l'activité humaine 

Ces cinq domaines ne se déclinent pas séparément. Ils ne correspondent pas à de nouvelles disciplines qu’il serait possible d’appréhender distinctement les unes des autres, mais à de grands enjeux de formation. Chaque domaine de connaissances et de compétences requiert la contribution de toutes les disciplines et démarches éducatives, chaque discipline apporte sa contribution à tous les domaines. Il y a bien sûr des recouvrements et des correspondances d’un domaine à l’autre. Tous les domaines par exemple sollicitent les langages. Les domaines 4 et 5, étroitement complémentaires, mettent tous deux en jeu l’activité humaine et la volonté des hommes de comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Pour chacun des cinq domaines concernés, le socle définit les objectifs visés, les connaissances et compétences correspondantes, et les principaux champs d’activité dans lesquels se construisent ces connaissances et compétences.

Comme le Conseil supérieur des programmes l’a indiqué dans la Charte des programmes, le socle commun constitue « le programme général correspondant aux cycles de l’école élémentaire et du collège ». C’est donc volontairement que la présente rédaction du socle commun s’en tient aux principes généraux.

Le socle commun définit les connaissances et compétences visées au terme de la scolarité obligatoire. Leur acquisition se fait bien sûr progressivement, tout au long des trois cycles qui organisent la scolarité de l’école élémentaire et du collège. Il reviendra aux programmes détaillés de préciser la nature et le niveau des connaissances et compétences visées par cycle et par domaine de formation, ainsi que la contribution des disciplines d’enseignement à cette formation. 

 

Géographie

Synthèses

  1. Des réalités géographiques locales à la région ou vivent les élèves : PF1, PF2 et 3
  2. Le territoire français dans l'Union Européenne : PF1PF2PF3
  3. Les Français dans le contexte européen : PF1PF2
  4. Se déplacer en France et en Europe : PF1
  5. Produire en France : PF1 (a), PF1 (b), PF1 (c), PF1 (d) ; PF1 (e) ; PF1 (f).
  6. La France dans le monde : PF1.
  7. La diversité des régions françaises : PF4

 

 Histoire

Synthèses
  
Quelques approfondissements
  1. La Préhistoire
  2. Par toutatis que reste-t-il de la Gaule ?
  3. La christianisation du monde gallo-romain.
  4. Naissance de la France...
  5. L'Europe des Abbayes et des Cathédrales.
  6. La naissance de l’Islam, conflits et échanges entre chrétiens et musulmans
  7. Le temps des découvertes et des conquêtes (XV-XVI)
  8. L’Humanisme et la Renaissance
  9. La monarchie absolue en France du XVI au règne de Louis XIV
  10. Le mouvement des Lumières
  11. La Révolution française et l’Empire
  12. Le système colonial au XVII et XVIII siècles
  13. La colonisation au XIX siècle (1815-1914)
  14. La naissance de la République en France au XIX
  15. La violence au XXe siècle
  16. La société française dans la seconde moitié du XX siècle
  17. La Ve République (1958-2002)
  18. Réforme de la constitution

Quelques sujets de l'ESPE de La Réunion

 

Education morale et civique

 

Aborder les principes fondateurs de la République à l'école primaire

 

A l'école maternelle, c'est dans les comportements quotidiens que se développe la connaissance de soi et des autres.

L'activité ludique met à jour les conceptions des jeunes enfants, leurs représentations sociales et culturelles sur lesquelles le maître prend appui pour verbaliser les émotions et les sentiments, dans le cadre sécurisant et structurant du « faire semblant ».

Dans les histoires racontées ou lues, les jeunes enfants mobilisent leurs expériences personnelles, leurs visions du monde et leurs connaissances de la littérature pour comprendre le comportement des personnages.

Tous les événements de la vie scolaire sont propices à des prises de conscience des différences et des ressemblances et au respect de l'intimité de chacun, de son intégrité physique et psychique, non seulement dans les actes mais aussi dans les paroles qui sont échangées entre adultes et enfants ou entre enfants.

A l'école élémentaire, l'enseignement moral et civique, la littérature (albums, romans, BD, contes, poésie, théâtre), l'histoire, les arts visuels, la musique, sont autant de domaines d'enseignement qui permettent d'aborder les valeurs et les symboles de la République, le respect de l'intégrité de la personne humaine, l'importance de la règle et du droit, le refus des discriminations de toute nature et les enjeux de la solidarité nationale.

Les œuvres de littérature pour la jeunesse, quelles soient classiques, patrimoniales ou contemporaines, sont des ressources précieuses pour aborder les principes et les valeurs de la vie en société.

La définition des règles de vie de la classe, si elle ne saurait à elle seule résoudre les problèmes de relations entre enfants, permet d'aborder un certain nombre de normes et de valeurs : respect d'autrui, tolérance, acceptation de la règle...

L'initiation au débat argumentatif permet d'aborder de grandes questions morales (le bien / le mal, le juste / l'injuste...) et de faire l'expérience d'une décentration de son propre jugement.

L'étude des œuvres d'art offre de faire l'expérience d'une émotion esthétique tout en abordant de grandes problématiques humaines qui ont traversé l'histoire.

 

Livret Étudiant

Education à la santé :

Histoire des arts

Questions socialement vives 

Curricula en Histoire

Liaison Histoire locale et nationale

POURQUOI ENSEIGNER L'HISTOIRE ET LA GEOGRAPHIE A L'ECOLE_

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2 septembre 2016

Concours CAPES

Rapports de jury et commentaires

Rapport de jury

Sujets

 

Questions de concours

Pour la session 2017

En Histoire :
- Gouverner en Islam entre le Xe siècle et le XVe siècle (Iraq jusqu'en 1258, Syrie, Hijaz, Yémen, Égypte, Maghreb et al-Andalus) (question maintenue)
- Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés du XVIe siècle au XVIIIe siècle (période de la Révolution française exclue) en Angleterre, France, Pays-Bas/Provinces Unies et péninsule italienne. (nouvelle question)
- Le Moyen-Orient de 1876 à 1980 (nouvelle question)

En Géographie :
- Géographie des mers et des océans (question maintenue)
- L’Union indienne (question maintenue)
- La France des marges (nouvelle question)

Pour la session 2016

Questions d’histoire

  • Le monde romain de 70 av. J.-C. à 73 ap. J.-C. (question maintenue)
  • Gouverner en Islam entre le xe siècle et le xve siècle (Iraq jusqu'en 1258, Syrie, Hijaz, Yémen, Égypte, Maghreb et al-Andalus) (question maintenue)
  • Citoyenneté, république, démocratie en France de 1789 à 1899 (question maintenue)

Questions de Géographie

  • Géographie des mers et des océans (question maintenue)
  • La France : mutations des systèmes productifs (question maintenue)
  • L’Union indienne (nouvelle question) Cadrage

 

Épistémologie

Recueil de textes

 

Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés du XVIe siècle au XVIIIe siècle (période de la Révolution française exclue) en Angleterre, France, Pays-Bas/Provinces Unies et péninsule italienne (nouvelle question)

L’espace retenu constitue un choix limitatif mettant en valeur le fait que le cœur de la révolution scientifique – c’est-à-dire le moment où s’impose la nouvelle pratique expérimentale et l’établissement de la vérité scientifique dans le cadre du laboratoire – eut sans doute bien pour terrain d’exercice majeur un espace situé entre France, Angleterre et péninsule italienne, l’ajout des Pays Bas permettant de faire jouer les échelles en ajoutant un espace plus modeste mais innovant. Ce choix permet en outre aux candidats de ne pas se perdre dans l’immensité d’une question qui se serait étendue à toute l’Europe. Les circulations, les diffusions et les réceptions au sein de l’espace considéré permettront d’ailleurs de prendre en compte les découvertes ou innovations nées dans un espace plus large et de pallier pour une part le fait de ne pas inclure dans la question des territoires où se sont constitués aussi des apports importants à la science préclassique et classique. La dimension globale de l’histoire des savoirs scientifiques et techniques elle-même n’est pas exclue, dans la mesure où elle concerne l’impact des circulations extra-européennes et des effets du laboratoire colonial sur la production de savoirs scientifiques et techniques en Europe (organisation des voyages lointains, méthodes d'enquête et de mesure conçues à cet effet et réception des savoirs locaux en Europe).

La période qui court de la fin du Moyen Âge aux Lumières (La_philosophie des Lumières) en Europe a été privilégiée par les recherches en histoire des sciences et en histoire des techniques parce que la science classique et les académies ont compté parmi les principaux terrains de recherche de l’histoire sociale et politique des sciences et parce que l’invention technique a été identifiée comme cruciale dans la légitimation des pouvoirs politiques (locaux, centraux) depuis le XVe siècle, en même temps que s’affirmait la figure des ingénieurs, au service des puissants.

L’histoire des sciences et l’histoire des techniques se sont profondément renouvelées depuis une génération. L’un des points forts de ce renouvellement est la montée de l’intérêt pour la construction sociale et politique des savoirs, sous l’influence de plusieurs courants, s’inscrivant au sein de la discipline historique dans la droite ligne des Annales et de la Revue de synthèse et se développant en lien avec la sociologie, l’anthropologie et l’ethnologie des connaissances. Les historiens ont fourni de nombreux travaux sur la place des sciences et des techniques dans les sociétés et ont montré qu’elles se situaient au cœur des relations de pouvoir. Le libellé n’incite donc nullement à une classique histoire internaliste des idées scientifiques ou techniques. Ainsi ne demandera-t-on pas aux candidats de connaître les contenus des Discorsi de Galilée ou des Principia de Newton, mais simplement de retenir les grandes lignes des apports de ces auteurs aux sciences de leur temps et d’examiner l’interaction de leurs idées avec la société et les pouvoirs religieux, politiques, académiques.

Si ces approches constructivistes liant sciences, techniques, sociétés et pouvoirs ont connu un fort développement à l’international, notamment dans le domaine de l’histoire sociale des sciences, les historiens en France ont aussi fortement contribué à cette dynamique, ce qui permet de disposer d’une bibliographie accessible et renouvelée sur la France, sur les différents États européens et sur l’Europe des sciences et des techniques. De plus, les principaux travaux étrangers ont été traduits en français ou bien sont accessible en anglais. L’édition de sources a également progressé et de nombreuses sources imprimées dans ce domaine sont désormais numérisées. La production même de cette littérature technique, entre traités, encyclopédies, livres de secrets et manuels, la question des langues et de la traduction, celle du texte et de l’image, celle du manuscrit (écriture du voyage, notes de laboratoires, devis d’ingénieurs, comptabilités artisanales ...) ont fait l’objet de nombreux travaux, accessibles en français, qui permettent d’analyser les documents. Il en va de même pour l’étude des images mais aussi pour celle des objets comme sources : l’histoire des sciences et l’histoire des techniques jouent un rôle majeur dans les visual studies, dans l’étude de la culture matérielle et des collections, dans l’essor des reconstitutions d’expériences et de machines, y compris par le numérique, qui forme un volet actif de la recherche actuelle, bien documenté lui aussi.

Deux autres points forts sont à souligner afin de cadrer le périmètre du sujet :

- Les relations entre sciences et techniques ont fait l’objet de réflexions spécifiques, ce qui justifie de coupler ces savoirs et de conduire les candidats à interroger ces liens, la construction de ces catégories, leur acception dans le passé ainsi que les divergences qui font aussi partie de leur histoire. Loin de concevoir la vérité scientifique comme universelle et s’imposant à l’humanité telle une téléologie, les historiens des sciences ont mis en valeur la contingence des découvertes et les contextes de production des sciences, qu’il s’agisse des « lieux de savoir » ou de l’impact des dispositifs matériels et des techniques (instruments, dispositifs, gestes, savoir-faire) dans la recherche et l’expérimentation, en liaison avec les régimes (et usages) politiques et religieux de la vérité scientifique. La place des techniques et de la matérialité dans la Révolution scientifique est de plus en plus affirmée alors que pendant longtemps, on a fait se succéder la Révolution scientifique et la Révolution industrielle (assimilée à une révolution technique). Enfin, la compréhension de la science en action induit la prise en compte des limites et des difficultés rencontrées lors de la sortie du laboratoire (contraintes environnementales, économiques, sociales, culturelles etc.)

- Du côté des techniques, de manière symétrique, c’est précisément la notion de science appliquée qui a été interrogée et qui est de plus en plus perçue comme un mode de domination de la science académique sur les savoirs des praticiens à partir du XVIIe siècle, appuyé par le topos de « la science éclairant l’artisan ». Les techniques ont été perçues comme autonomes et irréductibles à l’application de la science et le sens ancien de la technologie comme science de la technique et des intentions opératoires a été restitué. L’étude de l’intelligence technique a sous-tendu les recherches pionnières sur les ingénieurs et a permis d’identifier une rationalité spécifique, que l’on reconnaît maintenant aussi chez d’autres praticiens, tels les artisans, dont l’étude constitue un front avancé de la recherche, renouvelant aussi bien l’histoire de l’édition technique que celle des savoir-faire, par la mise en valeur de la pensée et de l’abstraction nées des pratiques.

Au total, la question apparaît comme un élément intéressant la culture professionnelle des professeurs d’histoire et géographie et la culture des étudiants et des élèves. D’ores et déjà, elle s’articule avec les programmes du secondaire :

- en classe de cinquième, elle est intégrée dans le thème 3 : « Transformations et ouverture sur le monde aux XVIe et XVIIe siècles », qui inclut « les bouleversements scientifiques, techniques, culturels et religieux que connaît l’Europe de la Renaissance (La_Renaissance» ; (Programme)

- en classe de quatrième, dans le thème 1 : « L'Europe des Lumières : circulation des idées, despotisme éclairé et contestation de l'absolutisme », dans le traitement duquel on doit aborder « Le développement de l'esprit scientifique, l'ouverture vers des horizons plus lointains poussent les gens de lettres et de sciences à questionner les fondements politiques, sociaux et religieux du monde dans lequel ils vivent. » ;(Programme

Joseph Nicolas Robert-Fleury, Galilée devant le Saint-Office au Vatican, 1847

- en cycle 4, dans le cadre des croisements entre enseignements, pour lesquels les programmes suggèrent d’aborder les grandes figures de la science au XVIe siècle avec Copernic et Galilée ; (Programme)

- enfin, en classe de seconde, dans le thème 4 : « Nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à l’époque moderne » / « L’essor d’un nouvel esprit scientifique (XVIe - XVIIIe siècle) » (Nouvel esprit scientifique et technique ; Hommes_de_la_Renaissance ; Élargissement_du_monde)

Épistémologie

Histoire de la science moderne

Bruno Belhoste, Histoire de la science moderne, Paris, Armand Colin, 2016

Née en Europe au XVIe siècle, la science moderne est l’héritière des traditions savantes de l’Ancien Monde. Son essor est étroitement lié aux grandes mutations de l’époque moderne : développement des échanges et découverte du Nouveau Monde, divisions confessionnelles, formation des États modernes, émergence de nouvelles techniques... 

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S’appuyant sur les travaux les plus récents en histoire des sciences, ce livre explore les différentes facettes de cette histoire. Il retrace l’exploration du monde à la Renaissance, analyse ce qu’il est convenu d’appeler parfois la révolution scientifique, de Copernic à Newton, et décrit la place centrale occupée par les sciences dans le mouvement des Lumières. Il montre comment la science moderne a accompagné pendant trois siècles le processus de sécularisation qui caractérise la modernité.

Une république des sciences ?

Le siècle des Lumières a hérité de la notion de « République des Lettres », décrite aujourd'hui comme une sphère intellectuelle et sociale organisant la construction et la représentation des savoirs. Les scientifiques y constituent un groupe dont les pratiques s'autonomisent et s'instituitonalisent : est-ce suffisant pour parler d'une « République des Sciences » ? Si le terme est employé à l'époque par Condorcet par exemple, il reste pourtant une construction dépeignant un idéal non atteint, et l'« empire des sciences » est loin d'avoir des frontières, intenres ou externes, aisément repérables.

Une histoire sociale de la vérité

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Quelles sont les conditions nécessaires à l’existence d’un bien collectif comme le savoir ? Comment distinguer le vrai du faux ? Selon quels critères accorder sa confiance ? Dans Une histoire sociale de la vérité, Steven Shapin raconte comment la notion de « vérité scientifique » s’est constituée dans l’Angleterre du XVII siècle. Il recrée avec élégance l’univers des gentilshommes philosophes (Francis Bacon et Robert Boyle en tête) à une époque cruciale pour la science moderne. Il livre un tableau très vivant des relations entre culture mondaine et pratique scientifique. Les codes de conduite des gentilshommes d’alors prônant la confiance, la courtoisie, l’honneur et l’intégrité ont en effet fourni des solutions efficaces aux problèmes de crédibilité de la science, et garanti la fiabilité des connaissances sur le monde. À partir de ce récit historique détaillé, Steven Shapin discute plus largement de l’établissement du savoir factuel en science, mais aussi dans la vie quotidienne. Sa peinture des moeurs des gentilshommes philosophes lui permet d’illustrer l’affirmation selon laquelle la confiance est impérative dans la constitution de tout savoir, qui reste avant tout une entreprise collective. Un ouvrage devenu l’une des références internationales incontournables de la sociologie des sciences et des sciences sociales dans leur ensemble.

Les sciences studies

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Le livre présente, de façon systématique, le renouveau qu’ont connu l’histoire et l’étude des sciences (les Science Studies) depuis trente ans. Mettant en garde contre les batailles faciles et de peu d’intérêt entre « rationalistes » et « relativistes », Dominique Pestre nous introduit à la complexité des problèmes qui ont été soulevés et qui restent sans solutions simples. Montrant en quoi ce renouveau n’est pas propre à l’histoire et à l’étude des sciences, mais qu’il est vrai de l’ensemble des sciences sociales, il en étudie les conséquences.

En termes épistémologiques, en revenant sur les grands classiques ; en termes économiques et sociaux, en analysant les intrications profondes entre les sciences, les techniques et les pouvoirs ; en termes historiques, en parlant de régime de production et de régulation des sciences en société ; en termes politiques, enfin, en revenant sur les débats contemporains autour des techno-sciences et de leurs effets.

Histoire de la science moderne de Bruno Belhoste

« En trois siècles, ce que nous appelons aujourd’hui ”la science” a pris en Europe un autre visage. Au début du XVI siècle, l’Église exerce encore son plein contrôle sur les lettrés, dont la plupart appartiennent à l’univers des clercs. Les sciences, définies à la manière d’Aristote comme des connaissances certaines, sont intégrées dans l’édifice scolastique, couronné par la théologie. En même temps, l’héritage antique reste un modèle indépassable et les savoirs pratiques et artisanaux, s’ils existent, n’occupent qu’une place relativement accessoire malgré un dynamisme remarquable. À la fin du XVIII siècle, le tableau est tout différent. La République des lettres, entièrement laïcisée, étend son réseau sur l’Europe entière. Le monde savant, organisé et protégé par les pouvoirs séculiers, paraît avoir triomphé. L’ancienne philosophie naturelle a laissé place à une physique fondée sur l’expérimentation et les mathématiques, tandis que de nouvelles sciences se sont constituées, couvrant désormais tous les domaines des savoirs ou presque. La science forme le cœur du projet des Lumières, auquel elle fournit à la fois un argumentaire et des moyens d’application. Que l’entreprise scientifique puisse servir au perfectionnement des arts et à l’amélioration de la vie des hommes est désormais une conviction largement partagée.

Comment s’est effectuée cette grande transformation ? C’est ce que nous avons voulu retracer et expliquer dans ce livre. En premier lieu, la condition des hommes de savoir s’est profondément modifiée à l’époque moderne. La tendance générale a été à la différentiation du monde intellectuel, avec la fin du système scolastique qui caractérisait les universités. Des communautés d’intérêt, composées de lettrés, d’amateurs, d’administrateurs et de praticiens des métiers, se sont constituées autour de domaines et de thèmes spécifiques, par exemple les mathématiques, la géographie, la chimie, l’histoire naturelle ou l’anatomie. Ces regroupements hétérogènes, animés chacun par un projet, sont directement à l’origine de nos actuelles disciplines scientifiques. En même temps, les hommes de savoir ont trouvé de nouveaux publics, grâce, notamment, à l’invention de l’imprimerie et au développement de l’enseignement humaniste. Autant par intérêt que par passion, les nouvelles élites aristocratiques et marchandes ont manifesté dès la Renaissance une soif de connaissances et une curiosité remarquable, apportant leur soutien aux érudits et aux savants. Les États, de leur côté, ont eu besoin d’experts pour renforcer leur pouvoir et leur contrôle sur les peuples et les territoires, tant en Europe qu’outre-mer. À partir de la seconde moitié du XVIIème siècle, la science moderne s’est organisée sur ces bases, dans le cadre des académies et des sociétés savantes, avant de se diffuser très largement, par le livre, par l’enseignement et même par le spectacle, au cours du siècle suivant.

La science moderne a également apporté un bouleversement des représentations et des croyances, au moins pour la partie la plus éduquée de la société, certes encore limitée en nombre, mais largement dominante en termes d’influence et de richesse. Lorsque l’Europe chrétienne s’est divisée au début du XVI siècle, plongeant pour longtemps dans la violence, le monde des humanistes et des érudits a été emporté par le torrent des controverses religieuses. Mais, en même temps, c’est de son sein qu’a été lancée l’entreprise de sape la plus radicale de la doctrine chrétienne, telle qu’elle avait été établie à la fin de l’Antiquité, puis au Moyen-âge. D’un côté, les Écritures saintes ont fait l’objet d’une lecture historico-critique, qui les a désacralisées. De l’autre, le système physico-théologique de la scolastique, laissé intact par les réformes protestantes, a été attaqué et renversé. Le géocentrisme a été abandonné, en dépit de la condamnation de Galilée, et la philosophie naturelle a été remplacée par la physique mécaniste dans sa version cartésienne, puis newtonienne. L’idée même de miracle et de providence a perdu ainsi de sa pertinence. Au Dieu personnel et incarné de la Révélation, est venu s’ajouter, sinon se substituer, un Dieu lointain et impersonnel, simple législateur et horloger du monde. La nature, autrefois divine et peuplée de forces occultes, a été réduite à une ressource inépuisable à exploiter. De créature, l’homme est devenu le démiurge de son destin. »

Bruno Belhoste, « Conclusion » in, Histoire de la science moderne, Paris, Armand Colin, 2016, pp. 271-272.

Le Moyen-Orient de 1876 à 1980 (nouvelle question)

Le Moyen-Orient est une expression forgée en 1902 et renvoyant aux intérêts britanniques sur la route des Indes. En dépit d’une définition géopolitique fluctuante, le jury considère que cet espace correspond aux États actuels suivants : Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Liban, Palestine, Qatar, Syrie, Sultanat d’Oman, Turquie et Yémen. La question n’inclut donc pas l’Afghanistan, l’Asie centrale, les Balkans, le Caucase et le Maghreb.

Au début de la période, cet espace est structuré par deux Empires : l’Iran (appelé Perse jusqu’en 1935 dans les relations internationales) et l’Empire ottoman. La défaite et la disparition de ce dernier après la Première Guerre mondiale entraînent la naissance de la République turque (1923), ainsi que la création ou l’indépendance d’États arabes, constitués pour partie sous l’égide de puissances européennes mandataires de la Société des Nations. En 1948, le mandat britannique en Palestine prend fin : l’État d’Israël est créé ; l’État arabe palestinien ne voit pas le jour.

La question mise au programme s’étend de l’année 1876, qui marque la promulgation de la Constitution ottomane, à l’année 1980, qui correspond au lendemain de la révolution et de l’avènement d’une république islamique en Iran, au début de la guerre Irak-Iran et au coup d’État militaire en Turquie. Ce siècle est marqué par : 

- de 1876 à 1914 : la mondialisation des échanges ; le renforcement des États et des moyens de gouvernement; le développement des impérialismes européens, des nationalismes, des idéologies politiques et des mouvements révolutionnaires ; la mutation des sociétés rurales et urbaines ; les réformismes et les nouvelles pratiques culturelles ; les questions communautaires et confessionnelles parmi lesquelles la question arménienne ;

- de 1914 à 1924 : la Première Guerre mondiale et ses conséquences sur les populations et les sociétés ; le génocide arménien et assyro-chaldéen ; la Révolte arabe ; l’occupation militaire d’une grande partie du Moyen-Orient par les Européens et la mise en place des mandats de la SDN ; la guerre en Anatolie, la création de la République turque et la suppression du califat ottoman ; l’avènement de la dynastie Pahlavi en Iran ;

- de 1924 à 1948 : la mise en place des États, des frontières et des territoires ; la construction des identités nationales ; la question kurde ; la diversité des cultures politiques ; de nouveaux modes de vie ; l’enjeu de l’éducation et de la jeunesse ; les contestations de l’ordre colonial et mandataire ; le développement du Foyer national juif en Palestine ; la Seconde Guerre mondiale ;

- de 1948 à 1967 : la création de l’État d’Israël et le conflit israélo-arabe ; la question palestinienne ; les mobilisations nationalistes ; les révolutions arabes ; la montée des régimes autoritaires ; le multipartisme en Turquie ; les réformes agraires et les modèles d’industrialisation ; la Révolution blanche en Iran ; l’économie du pétrole ;

- de 1967 à 1980 : les guerres (guerre des Six jours, guerre de 1973, guerre du Liban, début de la guerre Irak-Iran) ; la crise du nationalisme arabe ; l’occupation des territoires palestiniens ; l’indépendance des États du Golfe ; les enjeux pétroliers ; le tournant islamiste ; le traité de paix égypto-israélien (1979) ; la révolution iranienne ; la déstabilisation politique et le coup d’État de 1980 en Turquie.

Dans ce cadre chronologique et événementiel qui devra être connu, on étudiera particulièrement les populations et les sociétés, les évolutions religieuses et culturelles, la formation des États et des mouvements politiques, l’économie et les enjeux du développement, les guerres et la violence.

Il s’agit donc d'aborder la région en elle-même et pour elle-même : la question ne porte ni sur l’histoire de la colonisation, ni sur l’histoire des relations internationales.

La connaissance du Moyen-Orient contemporain apparaît comme constituant un élément de la culture professionnelle des professeurs d’histoire et géographie. De manière plus spécifique, son étude éclaire les programmes scolaires du second degré : la conflictualité de la région (classes de Terminale et de Troisième) doit être réinscrite dans des processus historiques de mondialisation, de croissance économique, de mutation des sociétés, de violence et de meurtres de masse (classes de Première et de Troisième). Ces processus relient l’histoire du Moyen-Orient au temps de l’Europe et du monde. 

"Gouverner en Islam"

Rapport de jury 2014

Cette question porte sur la part du monde islamique issue du premier siècle des conquêtes et qui est restée attachée, tout au long ou pendant une large part de la période considérée, à la langue arabe du premier gouvernement impérial.
C’est pourquoi elle exclut l'Anatolie et les Balkans, l'Iran, l'Asie Centrale et le monde turcique, les Indes, l'Islam malais et l'Islam africain, tous espaces dont l’historiographie est par ailleurs plus difficile à mobiliser pour les candidats et les enseignants qui les préparent au concours.

Elle s’ouvre avec le moment où la proclamation de trois califats rivaux (à Bagdad, à Mahdiya, puis au Caire, et enfin à Cordoue après 929) le prive de son unité impériale, puis y renouvelle peu à peu, avec l’emprise croissante des « peuples nouveaux » (Turcs, Berbères), le fonctionnement des armées et de l’État. Elle se prolonge jusqu’aux bouleversements de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle : chute de Grenade (en 1492), chute du Caire aux mains des Ottomans (en 1517), émergence du chérifisme dans le Maghreb extrême.

L’intitulé met l’accent sur la culture politique de l’Islam. Tous les aspects de la pratique du gouvernement seront donc sollicités : légitimation des pouvoirs puisque leur multiplicité les place désormais en constante position de rivalité ; ambitions universelles, conquêtes tribales et consolidations impériales ; constitution des armées, tribales, mercenaires ou serviles, conduite de la guerre, poids et distribution de la fiscalité; ethnicité des castes et des fonctions dans l’État ; titulature des princes, affirmation des califats, des sultanats, des pouvoirs délégués ; mise en place et en scène des souverainetés, sédentarité ou itinérance du pouvoir, sièges et repos de la puissance, villes capitales, palais ou citadelles, mausolées et nécropoles ; autorité et privilèges religieux des califats, pratiques orthodoxes, audaces hétérodoxes et dévotions soufies ; magnificence des objets, mécénat des édifices et des fondations pieuses, enrôlement des savants ; protection, exploitation ou persécution des communautés minoritaires, juives et chrétiennes.

Au total, la question se trouve en adéquation étroite avec l’esprit qui préside à l’enseignement de l’histoire des civilisations dans l’enseignement secondaire :
-
elle souligne la profondeur des mutations historiques durant les six siècles étudiés, et invite à ne pas présenter la civilisation islamique comme un tableau sans profondeur temporelle – l’Islam a une histoire, ou plutôt est une histoire ;

- dans toute la mesure du possible, et sans jamais rien retirer aux singularités de l’histoire islamique, elle permet de mettre en valeur les formes impériales du gouvernement qu’on pourra rapprocher d’autres expériences politiques dans d’autres aires de civilisation. 

Quelques précisions

La question envisage un renouvellement épistémologique. Pour vous aider à en comprendre les enjeux, un premier cadrage spatial et chronologique semble nécessaire.

"L'Islam des premiers siècles s'est établi en un espace dont le coeur avait vu se succéder depuis plus d'un millénaire diverses constructions impériales, depuis l'époque des Assyriens jusqu'à l'âge de la domination des Romains et des Sassanides. En moins de trois décennies (622-651) les troupes menées sous la conduite de Muhammad, prophète de l'islam, puis de ses successeurs, les califes Abû Bakr, Umar, Uthman et Alî, avaient fait reconnaître leur autorité dans l'ensemble de l'Arabie, s'étaient emparé de la Syrie et de l'Égypte, de la Mésopotamie et de l'Iran. Cette conquête s'était ensuite poursuivie sous la première dynastie de califes arabes, les Omeyyades (660-750), à l'ouest vers le Maghreb et la péninsule ibérique (désormais désignée sous le nom d'al-Andalus), ainsi qu'à l'est vers l'Asie centrale et la vallée de l'Indus, lui donnant ainsi une extension et des frontières qu'il conserva peu ou prou jusqu'au XIème siècle. L'Empire de l'Islam était né. Adossé à une religion, au départ réservée à l'élite des conquérants, qui s'affirmait comme une forme supérieure et accomplie du monothéisme, il rassemblait des peuples et des langues, de cultures et de religions diverses. La consolidation impériale, entamée par les Omeyyades et prolongée par les Abbassides à partir de 750, dota progressivement ce vaste espace d'un cadre administratif et judiciaire plus ou moins unifié, ainsi que d'une nouvelle culture à vocation universelle, formulée en langue arabe. Si l'islam en tant que religion mit longtemps avant d'être adopté par la majeure partie des populations, l'adoption de l'arabe comme langue de pouvoir et de culture fut beaucoup plus rapide. Dans les régions du Proche-Orient (Iraq et Haute Mésopotamie, Syrie, Égypte, Arabie), l'arabe était même, à l'aube du second millénaire, la langue de tous les jours pour la très grande majorité des populations. Il le demeure encore aujourd'hui. C'est dans ces régions profondément arabisées que nous sommes invités à observer et analyser le devenir de l'Empire de l'Islam entre le Xème et le XVème siècle, alors que son unité politique a désormais volé en éclat.

Les limites chronologiques de la question (...) ont été définies au regard d'événements politiques majeurs, qui n'eurent pas le même impact d'une région à l'autre. Pour le Proche-Orient, la date de 892, marquant le retour du calife abbasside à Bagdad après le déplacement de la capitale à Samarra durant plus d'un demi-siècle, est le point de départ que l'on peut retenir. L'étude de l'Iraq et de la Haute Mésopotamie est interrompue après 1258, avec la chute du califat abbasside de Bagdad et l'installation du nouveau pouvoir mongol, tandis que celle de la Syrie, de l'Égypte et de l'Arabie dit être prolongée jusqu'à la conquête ottomane de 1516-1517. Pour l'Occident musulman (auquel il faut adjoindre la Sicile jusqu'en 1061, date du début de la conquête des Hauteville), la période traitée commence avec l'avènement du nouveau pouvoir fatimide en 909, et ses conséquences sur toute la région. Au Maroc, l'extinction de la dynastie mérinide en 1465 et l'avancée des conquêtes portugaises (prise d'Assilah et de Tanger en 1471) témoignent d'une décomposition de l'autorité publique qui ne prendra fin qu'avec le triomphe des Saadiens au XVIème siècle. La chute du royaume de Grenade en 1492, si elle marque la fin d'al-Andalus, constitue aussi une césure pour l'ensemble de l'Occident musulman, avec l'accélération des attaques chrétiennes contre les cpotes du Maghreb et les premières interventions ottomanes. Le fait d'envisager une aussi vaste période et un aussi large espace invite à se concentrer sur des évolutions politiques observables sur le long terme, plus que sur l'histoire événementielle des dynasties de l'Islam en tant que telle".

Cyrille Aillet, Emmanuelle Tixier, Éric Vallet (dir.), Gouverner en Islam, Xème-XVème s., Paris, Atlande, 2014.

Au-delà du seul contexte et de la description des outils de gouvernement, Christine Mazzoli-Guintard suggère quelques pistes de travail sur les représentations du pouvoir (les fastes de la vie princière, gouverner les âmes...) : 

"Les limites spatio-temporelles du sujet dessinent un ensemble cohérent, celui de la majeure partie du monde musulman entre le Xème siècle et le XVème siècle; ces six siècles sont riches de transformations majeures, qui font passer du moment unitaire du califat et de la naissance de deux califats rivaux de Bagdad, à Kairouan et à Cordoue, aux temps des États régionaux aussi bien en Orient qu'en Occident, celui des Rasulides d'Aden, des Mamelouks du Caire, des Hafsides de Tunis, des Abdelwadides de Tlemcen, des Mérinides de Fès et des Nasrides de Grenade. La thématique retenue, ”gouverner en Islam”, est en effet celle du pouvoir : elle conduit à envisager tous les acteurs du jeu politique, le souverain, ses fils, ses femmes et son épouse favorite, ses courtisans, les fonctionnaires du palais, les membres de l'administration centrale et provinciale, mais aussi bien sûr les sujets sur lesquels s'exerce l'autorité de l'émir, du calife ou du sultan, et les aspects de la vie de ces sujets réglés et dirigés par le pouvoir. Au-delà des aspects matériels des modes de gouverner, la thématique amène à considérer l'idéologie du pouvoir, son contenu, ses modes d'élaboration et de circulation, la manière somme toute de légitimer le pouvoir ; l'image du pouvoir s'affiche lors des cérémonies, qui sont autant d'occasion de montrer les insignes de souveraineté, et elle se donne à voir également dans les inscriptions qui rappellent les titulatures princières, ainsi que dans la monnaie, l'un des meilleurs supports de l'idéologie du pouvoir".

Christine Mazzoli-Guintard, Gouverner en terre d'islam, PUR, 2014. 

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Epistémologie

 

Islam/islam

« ”Ce mot se prend pour la Religion, et pour le pays des Mahométans”, affirmait déjà la Bibliothèque orientale d’Herbelot à la fin du XVIIème siècle, première véritable encyclopédie consacrée à l’Orient dans une langue européenne. Islam, qui signifie au départ, en arabe, ”une entière soumission et résignation du corps et de l’âme à Dieu” (D’Herbelot), servit en effet à forger, à l’aube des Lumières, le terme islamisme qui désignait la seule religion musulmane, sur le modèle de christianisme et judaïsme. Il y avait là une vraie innovation : alors que l’on avait toujours parlé en Europe de religion ”mahométane” afin de mieux signifier dès son origine humaine, les premiers savants orientalistes voulurent rompre avec cet usage apologétique en recourant au terme même qu’utilisaient les musulmans pour nommer leur propre religion. La forme islam finit par s’imposer dans les différentes langues européennes au XXème siècle avec sa double signification religieuse et territoriale, alors qu’islamisme, tombé en désuétude, ne reprit du service qu’à partir des années 1970, selon l’acception politique qu’on lui connaît aujourd’hui. Le maniement de ces termes savants passés dans le langage courant est souvent source de confusion auprès du grand public : ainsi les ”arts de l’Islam” ne se limitent-ils pas aux seules œuvres de musulmans, de même que juifs et chrétiens participent également de la philosophie islamique, qui n’est pas seulement musulmane – et en aucune manière islamiste. Pour lever en partie l’ambiguïté, un usage français tardif, qui fait aujourd’hui consensus dans les récits spécialisés, propose de distinguer typographiquement l’islam religion (avec une minuscule, correspondant à l’adjectif ”musulman”) de l’Islam monde (avec une majuscule, correspondant à l’adjectif ”islamique”).

 

Longtemps l’étude historique de l’islam/Islam prit sa source dans la philologie. On était spécialiste des langues orientales (arabe, persan, turc) avant d’être historien. Dans les années 1950-1970, revendiquant justement de traiter les sources de cet Orient proche avec la même rigueur, les mêmes outils et les mêmes grilles d’analyse que celles de l’Occident, Claude Cahen contribua, avec d’autres (Lombard, Mantran, Rodinson, Sourdel), à installer durablement l’histoire générale de l’Islam dans le champ plus général des études historique en France. Cette promotion, nourrie par une critique mesurée de l’orientalisme, s’accompagna par la suite d’un rééquilibrage important en direction de l’histoire des derniers siècles du Moyen âge (époque mamelouke) et de l’Empire ottoman, avec l’introduction de problématiques variées qui empruntaient aussi bien aux champs de l’histoire économique et sociale qu’à ceux des ”mentalités” ou de l’anthropologie historique (Garcin, Raymond, Veinstein). Durablement marquée par le contexte de la décolonisation, l’histoire contemporaine du monde arabe s’affirma plus difficilement, entre confluence et concurrence avec les sciences politiques, la sociologie ou l’anthropologie. La multiplication des études sur l’Islam non arabe (mondes turc et persan, Afrique subsaharienne, Asir du Sud et du Sud-Est) depuis les années 1970 représente également une tendance de longue durée, de même que l’internationalisation croissante de la recherche, avec l’essor des départements d’histoire dans le monde islamique lui-même et dans les universités anglo-américaines, qui occupent aujourd’hui une position dominante dans l’ensemble de ce champ.

 

L’exigence d’un traitement systématique de sources écrites abondantes impliquant la maîtrise d’une ou plusieurs langues orientales continue de fonder une spécificité disciplinaire forte, au sein des différentes périodes de l’histoire comme dans le rapport avec les autres sciences sociales traitant de l’Islam. Près de trois millions de manuscrits islamiques seraient aujourd’hui conservés dans le monde, sans compter toute la production imprimée moderne. L’étendue des sources disponibles s’est considérablement enrichie au cours du dernier demi-siècle avec la redécouverte de corpus massifs tels que les actes des fondations pieuses (waaf-s), les fonds de la Geniza du Caire, les registres des tribunaux, la littérature hagiographique et mystique ou les épopées historiques (sîra-s), ou avec la collecte de données, abondantes mais parcellaires, issues de prospections et de chantiers archéologiques plus nombreux. Pour le temps des origines où la documentation est plus rare, une réflexion approfondie sur les méthodes d’analyse et un traitement plus systématique des sources ont permis d’importants renouvellements.

 

De tout cela, il ressort aujourd’hui une histoire complexe, foisonnante, une pluralité d’évolutions et de situations qui conduit à privilégier une histoire des pays d’Islam plutôt qu’une histoire de l’Islam pris dans sa globalité – au risque de prendre à rebours une demande sociale avide de certitudes tranchées sur l’islam-religion tout autant que sur l’Islam-monde. La technicité croissante des études nourrit un décalage parfois vif entre l’état de la production scientifique et les connaissances diffusées auprès du public non spécialiste. L’enseignement secondaire et supérieur n’accorde qu’une place restreinte à une histoire qui reste centrée sur le monde arabe, et orientée principalement dans la perspective figée de ses relations avec l’Occident. Sortir l’Islam du seul cadre méditerranéen est pourtant essentiel pour comprendre son évolution à compter des derniers siècles du Moyen-âge. Au-delà d’une seule lecture faite au prisme du religieux qui tend trop souvent à s’imposer, il convient également de faire droit à l’étude des dynamiques politiques, sociales, économiques et culturelles, qu’elles soient originales et spécifiques au monde de l’Islam, ou partagées avec les sociétés qui l’entourent. Décloisonner l’histoire de l’Islam/islam pour mieux comprendre sa place dans l’histoire du monde : cette tâche reste plus que jamais d’actualité ».

 

Éric Vallet, « Islam », in Dictionnaire de l’historien, Paris, PUF « Quadrige », 2015. 

 

Recueil de documents

À lire

 

 Citoyenneté, démocratie, république (1789-1899)

 Rapport de jury 2014

"Cette question se propose de couvrir, durant un long XIXe siècle, l’histoire des développements pluriels de trois thèmes majeurs de l’histoire de la France et de son empire colonial. Ces thèmes sont liés de manière indissociable aux champs politique, social et culturel de la France : il s’agit donc de ne pas dissocier mais d’articuler, d’analyser les mutations sociales et culturelles – éducation, croissance des mondes ouvriers, presse, iconographie... – qui contribuent à façonner l’ensemble des réflexions et des pratiques politiques (mobilisations, élections...), d’étudier les phénomènes de politisation de la société et leur capacité ou non à construire une démocratie en acte.

Le point de départ : 1789 renvoie au début de la Révolution française et à la révolution des droits ; il se réfère à la naissance de la citoyenneté contemporaine, avant que l’été 1792, avec l’élection au suffrage universel masculin et la naissance de la République, ne fassent coïncider les trois dynamiques du sujet de façon nouvelle. Le terme retenu : 1899 renvoie à l’établissement durable de la IIIe République après les graves crises sociales, politiques, identitaires traversées durant les années précédentes ; il marque une étape décisive mais ne constitue évidemment pas un point final consacrant un processus achevé et une démarche téléologique ; sur un plan factuel, il correspond tout à la fois à la formation du gouvernement dit de « défense républicaine », engagé dans la lutte pour l'état de droit et la restauration des libertés civiques, et à la promulgation de textes qui interrogent les principes démocratiques : extension du régime de l’indigénat (Madagascar) et décret Millerand sur le travail des étrangers en France.

Pour l’ensemble de la période ainsi délimitée, il s’agit de définir chacun des thèmes de la question et de penser leur interaction.
La question retenue conduit à rencontrer des hommes, des femmes, des étrangers, des
populations colonisées ou dominées au cœur des enjeux de politiques d’intégration : obtention de la citoyenneté, assignation de statuts en marge de la citoyenneté voire refus de citoyenneté entière, politique d’exclusion de la citoyenneté... Elle n’oublie pas non plus les formes d’oppositions : depuis 1789, davantage encore avec l’avènement de la République, une population non négligeable de non-républicains a manifesté son refus des programmes de construction civile et nationale articulés au triptyque citoyenneté, république et démocratie. Les échecs, les inégalités civiques et les rejets seront donc ici pesés.

Si la France est au centre du sujet, l’universalisme souvent revendiqué des idées, pratiques et représentations du politique, les forme d’influence et d’action à l’international et les programmes transnationaux (projets européens) sont inclus dans la réflexion.

Au total, cet intitulé met donc l’accent sur les débats et enjeux politiques dans toutes leurs dimensions et sur leurs acteurs et actrices de ces débats et enjeux

La question :
-
est ainsi en adéquation avec les programmes de l’enseignement secondaire (classes de Seconde et Première) qui visent à doter les lycéens d’une culture politique et abordent les problématiques de compréhension des mutations du politique et de démocratisation des sociétés en France, en Europe et dans le monde à partir de la Révolution française ;
- témoigne par ailleurs du dynamisme d
e l’histoire de la France et de l’internationalisation de cette historiographie"

Rapport de jury 2014. 

Quelques précisions :

Une dimension civique contemporaine

La République. Armand CAMBON

« Les débats récents sur la laïcité et le port du voile ou sur le vote des étrangers, les remises en cause par un certain nombre de groupes minoritaires de l’appartenance à la nation française, autour par exemple de la Marseillaise, les revendications partisanes autour du Gaullisme, de Jeanne d’Arc ou de Jean Jaurès et, de façon plus large, autour du processus d’intégration européenne, tout cela a contribué à réactualiser les questionnements concernant la citoyenneté, république et démocratie. L’histoire retrouve pleinement sa capacité à éclairer l’éducation civique du citoyen d’aujourd’hui. En fait, la question des relations entre citoyenneté, république et démocratie, en France notamment, a été abordée, depuis longtemps sous l’angle du mouvement des idées et, à l’initiative des juristes surtout, sous celui des pratiques constitutionnelles, beaucoup moins sous celui des tendances lourdes de l’économie de la société ».

Dominique Barjot et Michel Figeac (dir.), Citoyenneté, république et démocratie en France de 1789 à 1899, Paris, Armand Colin, « SEDES », 2014. 

"Citoyenneté, république, démocratie : ces trois fondamentaux du politique sont abîmés dans la France de 2015. Donner une profondeur historique à leur analyse, en particulier au cours de la période qui s’étend des débuts de la Révolution (1789) à la stabilisation de la IIIe République (1899), permet de mieux comprendre la complexité des problèmes actuels et de se prémunir contre toute vision simplificatrice et téléologique. Se dégagent en effet des évolutions, mais aussi des invariants, au travers des rapports que les trois termes ont pu entretenir au cours d’un grand xixe siècle". 

Jean Garrigues, Eric Anceau, « Introduction », Parlement[s], Revue d'histoire politique 2014/3 (n° 22), p. 11-13. 

"Un tel intitulé accumule les pièges et les difficultés"

« ”Citoyenneté, république, démocratie” : suite de mots et suite de choses. Toute la complexité d’un tel intitulé procède des particularités de sa dimension linguistique. Sans compter que ce sont des mots anciens (mais ”citoyenneté”, dérivé de ”citoyen”, est neuf), lestés d’une histoire séculaire, et qu’ils sont donc à partir de la Révolution française relus, redéfinis, tout en continuant à porter des modèles mémoriels venus d’un très lointain passé. On soulignera, à bon droit, la nécessité de bien remettre en contexte les usages de ces mots, de les rapporter à des locuteurs précis, de souligner les variations sémantiques entre 1789 et 1899, de ne jamais verser dans l’abstraction, de distinguer ce qui est à expliquer et ce qui est explicatif. Il n’empêche, l’analyse historienne se veut synthèse des points de vue, il lui arrive souvent de convoquer le style indirect libre, elle procède par tris et sélections, et elle n’est pas non plus exempte de préjugés ; enfin, la communauté des historiens ne se reconnaît pas forcément dans une interprétation qui s’imposerait par consensus. Par conséquent, un tel intitulé accumule les pièges et les difficultés ; ces trois mots de ”citoyenneté”, ”république”, et ”démocratie” peuvent être lourds de malentendus et d’incompréhensions. Il faut toujours le garder à l’esprit. »

Louis Hincker (dir.), Citoyenneté, république, démocratie, Paris, Atlande, 2014.

« Citoyenneté, république, démocratie : autant de termes consacrés comme des repères fondateurs de l’histoire politique contemporaine française. Malgré leurs usages courants, leurs significations n’en demeurent pas moins complexes et évolutives, ce qui appelle d’emblée à se défier des fausses évidences de la thématique proposée. Fausse évidence chronologique en premier lieu : envisager l’histoire politique nationale à l’échelle d’un siècle foisonnant où se succèdent les régimes politiques et les événements aux répercussions majeures, depuis la convocation des États généraux jusqu’à l’affaire Dreyfus, invite à interroger la cohérence de la période, sans pour autant la réduire au triomphe inexorable de la république. Fausse évidence sémantique ensuite : les références à la citoyenneté, à la république et à la démocratie se multiplient entre 1789 et 1899 mais les usages sont variés voire contradictoires. Un même vocable peut recouvrir des conceptions et des projets fort différents. Fausse évidence politique, enfin : l’attention portée à ces projets n’implique pas de cantonner la réflexion à une sphère bien délimitée par les institutions, les penseurs et les acteurs de premier plan car, et c’est là un trait entre les trois termes du sujet, la question de la participation du plus grand nombre aux affaires publiques est au cœur des débats. Elle constitue un enjeu majeur pour la période. Les luttes politiques et l’évolution des rapports de force s’arriment donc à des changements sociaux et culturels qui ne sauraient être négligés ».

Delphine Diaz, Maxime Kaci, Stéphane Lembré, Citoyenneté, république et démocratie en France de 1789 à 1899, Paris Bréal, 2014. 

"il y a moins de mots que de choses"

"Quelques remarques de bon sens. Les mots sont l’objet de glissements sémantiques : chaque occasion donne un sens à chaque terme. Le seul substantif ”républicain” ne désigne ni les mêmes hommes, ni les mêmes idées, non seulement au fil du siècle, mais aussi entre contemporains qui débattent entre eux à un moment donné ; il ne peut être laudatif pour ses partisans ou accusateur pour ses détracteurs ou opposants. Mais voilà, là comme ailleurs, et même plus qu’ailleurs car l’idéal du consensus politique commande cette économie linguistique, il y a moins de mots que de choses. La guerre fait donc rage autour de ce bien rare que sont les mots, et de surcroît cet enjeu majeur de la langue politique a été directement transmis des acteurs de l’histoire à l’historiographie elle-même."

Louis Hincker (dir.), Citoyenneté, république, démocratie, Paris, Atlande, 2014.

"L'ordre du discours"

« Or, la formation d’une langue politique et nationale commune, qui est un des grands enjeux de la période, n’est elle-même qu’un produit des procédures de contrôle, de sélection, d’organisation, de redistribution qui déterminent les significations. Elle n’est que l’aboutissement d’un ”ordre du discours” dont parlait Foucault, face à la multiplicité des énoncés, à leur prolifération, leur dispersion jugée dangereuse. La Révolution française introduit dans le domaine linguistique des changements radicaux : le français prend de la consistance, il se transforme, s’enrichit, intègre des néologismes, voit une part de son vocabulaire rejetée dans un passé obsolète (le vocabulaire féodal par exemple), et enregistre des modifications de significations d’une série de termes qui existaient auparavant (c’est le cas de ”démocratie”, ”peuple”, ”république”, ”nation”). Il y a regénération de la langue ; plus précisément, la langue française ne sert pas seulement à dire et à organiser les nouveaux rapports sociaux, elle est désormais une langue universelle qui fixe les droits de l’homme et du citoyen. Les représentants de la Nation ont posé les bases d’une nouvelle communauté politico-linguistique et l’égalité en droit doit être une égalité en langue ». 

Louis Hincker (dir.), Citoyenneté, république, démocratie, Paris, Atlande, 2014.

"Un idéal de cité politique"

« Les contemporains des années 1789-1899 ont un idéal de cité politique qui correspond à l’idée du consensus. Celui-ci est envisagé bien différemment ; et puisqu’il est un idéal, il est conçu comme un maximum du politique. Qu’on l’appelle simplement ”ordre social”, ou bien plus ambitieusement ”Nation” quand il s’agit notamment de l’opposer aux prétentions des monarques, il s’agit bien d’un être collectif magnifié au caractère éminemment contractuel, mais pour lequel reste ouverte la question des limites, tantôt devant une raison d’état, ou encore face aux forces centrifuges qui traversent la société. La République en est une des variantes possibles, pas la plus évidente au yeux de tous à l’échelle de toute la période, en concurrence avec d’autres en tour cas. »

Louis Hincker (dir.), Citoyenneté, république, démocratie, Paris, Atlande, 2014.

« Le renouveau de l’histoire politique depuis une quarantaine d’années invite à s’interroger sur les différents niveaux d’apprentissage de la politique. La République est portée par des théoriciens qui définissent les contours du régime idéal. Mais elle est aussi vécue au quotidien par des hommes et des femmes, même si ces dernières ne votent pas, qui s’initient progressivement aux pratiques démocratiques, à travers les élections, mais aussi la lecture de la presse, la participation à des manifestations ou à des réunions politiques, ce qui suppose un certain degré de culture politique que l’enseignement, en progrès continu tout au long du siècle, permet d’acquérir ».

Jacques-Olivier Boudon, Citoyenneté, république et démocratie en France (1789-1899), Paris Armand Colin, « Collection U », 2014. 

On se gardera du piège téléologique

« On se gardera du piège téléologique. Cette histoire n’obéit pas à un évolutionnisme progressiste : mais elle connaît par contre des configurations analogues, voire répétées, plutôt que des phases ou des ”moments” qui impliqueraient transition vers un plus et un bien. La question posée ne peut être comprise en termes ”d’avènement de”. Sous couvert d’analyse scientifique, l’historien n’a pas à délivrer des brevets de capacité politique, ou inversement d’incapacité, à qui que ce soit. À la fin du XIXème siècle comme aujourd’hui, rien n’est définitif en politique et rien n’est définitivement résolu. De 1789 à 1899, ”citoyenneté”, ”république”, et ”démocratie” désignent des phénomènes qui tantôt convergent et peuvent s’harmoniser, tantôt non ».

Louis Hincker (dir.), Citoyenneté, république, démocratie, Paris, Atlande, 2014.

« À la fin du XIXème siècle, la France est républicaine. Malgré les crises de croissance qui ont accompagné la naissance de la IIIème République depuis sa naissance en 1870, celle-ci paraît enracinée dans le pays. Les Français se sont alors habitués aux pratiques démocratiques qui scandent la vie politique d’un régime qui a introduit le parlementarisme dans les mœurs. Ils sont aussi invités à considérer que l’avènement de la République est le résultat d’une évolution quasi naturelle qui aurait commencé avec la Révolution de 1789 pour s’achever avec l’arrivée des républicains au pouvoir en 1879. C’est du reste dans ce sens qu’est organisé l’enseignement de l’histoire qui fait de la Révolution française le point de départ de l’histoire contemporaine. La victoire de la République comme principe a pourtant été contestée tout au long du XIXème siècle. Avant d’être le siècle de l’avènement de la République, le XIXème siècle a été celui des affrontements autour du meilleur des régime possible, et ce dès l’époque de la Révolution. Cette lutte a opposé partisans de la royauté, eux-mêmes divisés sur la forme à donner à la monarchie, et républicains, lutte un temps arbitrée par les partisans des Bonaparte qui à deux reprises instaurent en France une République autoritaire bientôt transformée en Empire. (…) Et pourtant lorsque l’on évoque la République au XIXème siècle, c’est toujours le souvenir de la République montagnarde et de la Terreur qui rejaillit, sans doute parce que les ”républicains” à partir de la prise de pouvoir de Bonaparte communient dans le souvenir de la construction de l’an I et de la période jacobine, mais aussi parce que les détracteurs de la République ont su jouer du sentiment de peur que fait naître le souvenir de la première expérience républicaine. C’est du reste après s’être débarrassés de cet opprobre que les Républicains pourront envisager son installation définitive en France. Mais l’avènement de la République était loin d’être inéluctable. »

Jacques-Olivier Boudon, Citoyenneté, république et démocratie en France (1789-1899), Paris, Armand Colin, « Collection U », 2014. 

Le sujet de la dissertation d’histoire du Capes 2015 : un choix aberrant

2 avril 2015
Par 

Chères et chers,
Je me suis modestement battu depuis le début d’une mauvaise réforme  pour que les questions du CAPES soient alignées sur celles de l’agrégation, par bon sens et ambition républicaine réunis. La bataille semblait gagnée. Le second temps pouvait être la réintroduction des quatre périodes comme socle du savoir scientifique des futurs collègues.
Je me suis expliqué devant vous l’année dernière sur l’importance de penser la modernité comme socle de la question d’histoire contemporaine  qui engageait la question de la  citoyenneté de la république et de la démocratie que tous nous rencontrons, sous des visages différents, depuis le XVIe siècle. Certains d’entre vous fort légitimement, avaient manifesté leur souci de voir la question de moderne disparaitre.
C’est ainsi que le président du jury d’agrégation a choisi, après proposition de son directoire, le sujet que j’avais composé et proposé avec la vice-présidente du jury. Monsieur l’Inspecteur Général Poncelet a choisi notre sujet, ce dont je lui suis reconnaissant, incluant la période 1789-1815.
Quel n’est pas mon étonnement pour demeurer dans un langage politiquement correct à la lecture du sujet du CAPES portant sur l’engagement républicain et commençant …en…1815.
Pour ceux qui parmi nous donnent un enseignement commun ou séparé aux candidats des deux concours, ce sujet est tout simplement stupide, je mesure hélas le sens du terme! Il met en porte à faux tous les collègues modernistes qui ont participé à la préparation de la question jouant le jeu d’une discipline républicaine pour le bien des étudiants, il n’a aucun sens par rapport à la volonté  proclamée partout que le CAPES doit préparer à un métier où la fusion des périodes doit être abordée, pire que tout, il met en grande difficulté les candidats du capes : on ne peut que se demander comment ils ont du construire leur première partie sans évoquer longuement l’héritage de la Révolution et de l’Empire?  Quelle a pu être leur réaction alors que bien des correcteurs leur avaient répété qu’un sujet de CAPES avait vocation à englober toute la période, indépendamment du fait que pour la troisième année c’est l’histoire contemporaine qui sort… si l’on veut “contemporanéiser” toujours davantage l’enseignement secondaire, le message est on ne peut plus clair…
En tant qu’ancien professeur (heureux) de collège et de lycée et donc professeur de géographie d’histoire et d’EDUCATION CIVIQUE, je me demande quel est le sens de cette volonté manifeste d’écarter l’histoire moderne, l’histoire de la Révolution française  de ce sujet qui, présenté ainsi, n’a ni sens intellectuel, ni valeur de préparation professionnelle, ni perspective civique…

Votre dévoué vice-président de l’AHMUF, et directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française,
Pierre Serna

http://ahmuf.hypotheses.org/3625

Recueil de documents

Fiches de lecture

Les sociétés coloniales 

"Pour la première fois, les concours de l’enseignement secondaire (Agrégation, CAPES, CAFEP) proposent un programme d’histoire contemporaine résolument extra-européen1. Le choix d’aires géographiques très différentes (Afrique, Asie, Antilles) qui permettent d’étudier tous les grands empires du moment témoigne de la très forte dimension comparative du programme. Dans la mesure où il s’agit d’étudier les sociétés coloniales, certains Européens (colons, administrateurs, militaires, négociants, aventuriers, missionnaires...) sont au cœur de la question tout comme le problème de la domination occidentale – mais pas seulement puisque la colonisation japonaise, en Corée et à Formose en particulier, constitue une part intégrante du programme. Cependant, c’est bien la première fois que la situation coloniale, c’est-à-dire la façon dont la question coloniale elle-même – localement, dans la colonie – est au centre des problématiques et non, plus classiquement les relations entre les métropoles et leurs empires dans une relation centre-périphérie univoque2. Composée principalement de populations indigènes autochtones ou allochtones, la focale sera posée principalement sur la

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société colonisée plutôt que celle du colonisateur. Cependant, il n’échappera à personne que l’interaction, la rencontre coloniale, est au cœur de la question du concours. Pour les étudiants qui préparent les concours, comme pour les historiens chargés de les y aider, il devient alors indispensable de « décentrer le regard » et se focaliser sur un local colonial, sans cesse reconfiguré par des circulations en constante évolution sans omettre que la colonie appartient à un ensemble plus vaste, un système impérial avec lequel elle entre, à des niveaux variables, en connexion4. La colonie n’est pas un monde clos. Bien au contraire et comme toute société, elle est poreuse, et intègre à des niveaux variables les mutations induites par la mise en contact entre colons et colonisés. Fruit d’une double histoire, d’une rencontre fondamentalement violente, la société coloniale est un espace de réception, de mises en tensions entre deux mondes asymétriques dans leurs rapports les plus élémentaires, celui du dominant et celui du dominé. Comme le rappelait Balandier, « la société colonisée frappe, d’abord, par deux faits sa supériorité numérique [essentiellement rurale] et la domination radicale qu’elle subit ; majoritairement numérique, elle n’en est pas moins une minorité sociologique ». C’est aussi un espace de mutations comme de résistances. C’est aussi, un espace d’affrontements. En effet, « la violence à l’origine du rapport colonial puisque instaurée par la conquête. Autant que par les armes que par la contrainte [plus ou moins librement consentie], c’est la déstructuration de l’essentiel des cadres sociaux existants qui a rendu possible la mise en place de la puissance [coloniale] ». Paradoxalement, si la société coloniale exclue elle intègre aussi une partie des populations autochtones qui y trouvent intérêt pour de multiples raisons. Le maintien d’une société de colons numériquement très inférieurs mais hégémoniques sur le plan culturel, économique et militaire, parfois même linguistique, ne s’explique que par une participation plus ou moins active d’une partie non négligeable des colonisés à leur propre système de domination. Parfois même la collaboration apparente masque à peine une forme de résistance visant à s’emparer du savoir de l’occupant pour mieux s’en libérer. C’est le sens des mouvements dits « modernistes » qui se développent à l’aube du XXe siècle, en particulier en Asie. Parfois aussi, les administrations coloniales maintiennent en place les souverains traditionnels qui leur sont favorables et peuvent, de fait, figer une société dans un schéma politique qui tend à être essentialisé pour mieux le rendre immuable quitte à réinventer largement la tradition locale3 afin de la manipuler à dessein, à l’exemple du Cambodge, des sultanats malais ou encore du Rajasthan dans l’empire des Indes britannique. La capacité à intégrer les éléments de la « modernité » conquérante – c’est-à-dire une part non négligeable de la culture des colons : la langue, parfois l’écrit, la religion, la culture matérielle, parfois la religion, la culture économique et militaire – explique en grande partie la facilité avec laquelle la société coloniale se reproduisit, quitte à négocier des nouveaux espaces de libertés – ou à les restreindre – afin de maintenir le plus longtemps possible la domination effective, sous quelque forme qu’elle puisse prendre. Cependant, en dépit des travaux les plus récents qui mettent l’accent sur les circulations impériales qui ne peuvent être perceptibles que par un constant jeu d’échelles entre le local – colonial ou métropolitain – le régional (la ou les aire(s) dans lesquelles elles s’inscrivent) et l’échelle impériale ; voire globale, les sociétés coloniales – perpétuellement reconfigurées – sont ici, dans le cadre du programme du concours à étudier pour elles-mêmes, des années 1850 aux années 1950, en privilégiant en particulier l’angle de l’histoire sociale et culturelle dans le cadre de trois grands ensembles spatiaux considérés (Asie, Afrique, Antilles)". 

Claire Laux, Les sociétés coloniales à l'âge des Empires, Paris, Ellipses, 2013. 

Quelques thèmes :

engagesindiens

 

Le Monde Britannique

fardeau-de-lhomme-blanc

 

 

Le Prince et les Arts

 

L'Union indienne

 

Cette nouvelle question de programme en géographie des territoires, « l’Union indienne », focalise l’analyse sur un pays, rompant quelque peu avec la traditionnelle étude d’aire régionale continentale ou sub-continentale. Cependant, compte tenu de sa taille, de son impressionnante diversité et complexité, de sa place majeure dans le sous-continent indien et des interrogations multiples qu’il pose, cet Etat répond bien à l’exigence de synthèse par approches plurielles et multi-scalaires qui est la règle.

Géant démographique, second pays le plus peuplé au monde, puissance émergente de premier plan, l’Union indienne, pays des superlatifs, est plus que jamais un acteur incontournable sur la scène internationale.

Trouvant son unité dans sa diversité, elle doit faire face aujourd’hui à une foison de défis : spatiaux, sociaux, culturels, identitaires, écologiques et environnementaux, économiques et géopolitiques. A l’image du kaléidoscope souvent utilisée pour décrire ce vaste territoire, la question embrasse l’ensemble de ces problématiques et met en exergue les contrastes et les ambivalences d’un pays-continent : un territoire sous pression à la fois démographique et environnementale, une population encore majoritairement rurale dans un pays qui compte parmi les plus grandes métropoles mondiales, une société tiraillée entre tradition et modernité, un territoire traversé par de multiples fractures régionales, sociales, culturelles et spatiales, une puissance émergente peinant à résorber une pauvreté endémique s’exprimant dans une informalité urbaine et économique dont la prégnance questionne la notion même d’émergence...

Entre deltas et contreforts himalayens, entre Inde séculaire et Inde des multinationales de l’informatique, c’est l’ensemble de ce territoire pluriel et de cette société multiculturelle qui doit être abordé, dans le triple mouvement d’affirmation nationale, de régionalisation et de mondialisation.

De plus, on ne peut comprendre l’Inde du 21e siècle sans prendre en compte son inscription dans un ensemble régional, lui-même marqué par des relations ambivalentes de bon voisinage et de tensions géopolitiques plus ou moins latentes. En effet, si les enjeux économiques et commerciaux avec ses voisins chinois, pakistanais, népalais, bangladais ou sri-lankais notamment sont très importants, ils restent le plus souvent contrariés par des héritages diplomatiques complexes et des contentieux fluviaux, maritimes ou territoriaux plus ou moins anciens qui contribuent à ralentir le processus d’intégration économique régionale. Aussi, pour être complète, l’étude de l’Union Indienne nécessite d’appréhender le rayonnement de cette dernière à l’échelle de l’ensemble sud asiatique, en mettant particulièrement en évidence les luttes d’influence que se livrent directement ou indirectement les deux géants chinois et indien. 

Enfin, la question suppose aussi d’interroger l’impact de l’immense diaspora indienne qui, de manière discrète mais non moins essentielle, contribue à renforcer la puissance de l’Union indienne. Le rôle des Indiens dispersés dans le monde est en effet déterminant pour la croissance économique du pays, que ce soit à travers le transfert de compétences et de technologies, les investissements directs à l’étranger en Inde ou le versement des remises. Les Indiens de la diaspora constituent également un formidable levier de valorisation culturelle et politique en relayant les intérêts politiques et géopolitiques indiens ou en contribuant au rayonnement culturel sur la scène internationale d’une Union Indienne qui, parfois, les attire de nouveau.

Pour les directoires du CAPES externe d’Histoire-Géographie et de l’Agrégation externe de Géographie
Sylvie Letniowska-Swiat, vice-présidente CAPES externe Histoire-Géographie
Nathalie Bernardie-Tahir, vice-présidente Agrégation externe de Géographie 

La France : mutations des systèmes productifs

12 juin 2016

Pour les Master PLP

Concours 2017

Histoire

  • Sciences, techniques et société en France et dans le premier empire colonial français, de Jacques Cartier à Jean-François de La Pérouse (XVIe-XVIIIe siècles) (question nouvelle).
  • Etre républicain en France de 1870 à nos jours (Bibliographie).
  • Histoire et fiction (Bibliographie).

Géographie

  • Géographie des mers et des océans (question nouvelle)
  • La France : mutations des systèmes productifs (Biblio).
  • Représenter l’espace en géographie 

Concours 2016

 Histoire

  • Etre républicain en France, de 1870 à nos jours (Bibliographie).
  • Le projet européen de 1945 à nos jours : enjeux internationaux, adhésions, contestations (Bibliographie).
  • Histoire et fiction (Bibliographie).

Géographie

  • La France : mutations des systèmes productifs (Biblio).
  • Les mobilités humaines, étude géographique (Bibliographie).
  • Représenter l’espace en géographie.

Rapports de jury

profilbas

 

 

 

 

 

Epreuves d'admission

Quelques sujets d'entrainement pour l'épreuve d'admission :

Épistémologie

Recueil de textes

Bibliographie en didactique de l'histoire

 Histoire

"Sciences, techniques et société en France et dans le premier empire colonial français, de Jacques Cartier à Jean-François de La Pérouse (XVIe-XVIIIe siècles)" (question nouvelle).

Définitions

La Renaissance est un vaste mouvement intellectuel, littéraire, artistique et scientifique qui caractérise l’Europe du XVe et du XVIe siècles. Initiale­ment, le terme latin de rinàscita est utilisé par les contemporains de la période pour mentionner le renouveau des arts ; depuis le XIXe siècle, il est utilisé dans une acception plus large... La_Renaissance

Épistémologie

Histoire de la science moderne

Bruno Belhoste, Histoire de la science moderne, Paris, Armand Colin, 2016

Née en Europe au XVIe siècle, la science moderne est l’héritière des traditions savantes de l’Ancien Monde. Son essor est étroitement lié aux grandes mutations de l’époque moderne : développement des échanges et découverte du Nouveau Monde, divisions confessionnelles, formation des États modernes, émergence de nouvelles techniques... 

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S’appuyant sur les travaux les plus récents en histoire des sciences, ce livre explore les différentes facettes de cette histoire. Il retrace l’exploration du monde à la Renaissance, analyse ce qu’il est convenu d’appeler parfois la révolution scientifique, de Copernic à Newton, et décrit la place centrale occupée par les sciences dans le mouvement des Lumières. Il montre comment la science moderne a accompagné pendant trois siècles le processus de sécularisation qui caractérise la modernité.

Une république des sciences ?

Le siècle des Lumières a hérité de la notion de « République des Lettres », décrite aujourd'hui comme une sphère intellectuelle et sociale organisant la construction et la représentation des savoirs. Les scientifiques y constituent un groupe dont les pratiques s'autonomisent et s'instituitonalisent : est-ce suffisant pour parler d'une « République des Sciences » ? Si le terme est employé à l'époque par Condorcet par exemple, il reste pourtant une construction dépeignant un idéal non atteint, et l'« empire des sciences » est loin d'avoir des frontières, intenres ou externes, aisément repérables.

Une histoire sociale de la vérité

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Quelles sont les conditions nécessaires à l’existence d’un bien collectif comme le savoir ? Comment distinguer le vrai du faux ? Selon quels critères accorder sa confiance ? Dans Une histoire sociale de la vérité, Steven Shapin raconte comment la notion de « vérité scientifique » s’est constituée dans l’Angleterre du XVII siècle. Il recrée avec élégance l’univers des gentilshommes philosophes (Francis Bacon et Robert Boyle en tête) à une époque cruciale pour la science moderne. Il livre un tableau très vivant des relations entre culture mondaine et pratique scientifique. Les codes de conduite des gentilshommes d’alors prônant la confiance, la courtoisie, l’honneur et l’intégrité ont en effet fourni des solutions efficaces aux problèmes de crédibilité de la science, et garanti la fiabilité des connaissances sur le monde. À partir de ce récit historique détaillé, Steven Shapin discute plus largement de l’établissement du savoir factuel en science, mais aussi dans la vie quotidienne. Sa peinture des moeurs des gentilshommes philosophes lui permet d’illustrer l’affirmation selon laquelle la confiance est impérative dans la constitution de tout savoir, qui reste avant tout une entreprise collective. Un ouvrage devenu l’une des références internationales incontournables de la sociologie des sciences et des sciences sociales dans leur ensemble.

Les sciences studies

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Le livre présente, de façon systématique, le renouveau qu’ont connu l’histoire et l’étude des sciences (les Science Studies) depuis trente ans. Mettant en garde contre les batailles faciles et de peu d’intérêt entre « rationalistes » et « relativistes », Dominique Pestre nous introduit à la complexité des problèmes qui ont été soulevés et qui restent sans solutions simples. Montrant en quoi ce renouveau n’est pas propre à l’histoire et à l’étude des sciences, mais qu’il est vrai de l’ensemble des sciences sociales, il en étudie les conséquences. 

En termes épistémologiques, en revenant sur les grands classiques ; en termes économiques et sociaux, en analysant les intrications profondes entre les sciences, les techniques et les pouvoirs ; en termes historiques, en parlant de régime de production et de régulation des sciences en société ; en termes politiques, enfin, en revenant sur les débats contemporains autour des techno-sciences et de leurs effets.

Histoire de la science moderne de Bruno Belhoste

« En trois siècles, ce que nous appelons aujourd’hui ”la science” a pris en Europe un autre visage. Au début du XVIème siècle, l’Église exerce encore son plein contrôle sur les lettrés, dont la plupart appartiennent à l’univers des clercs. Les sciences, définies à la manière d’Aristote comme des connaissances certaines, sont intégrées dans l’édifice scolastique, couronné par la théologie. En même temps, l’héritage antique reste un modèle indépassable et les savoirs pratiques et artisanaux, s’ils existent, n’occupent qu’une place relativement accessoire malgré un dynamisme remarquable. À la fin du XVIIIème siècle, le tableau est tout différent. La République des lettres, entièrement laïcisée, étend son réseau sur l’Europe entière. Le monde savant, organisé et protégé par les pouvoirs séculiers, paraît avoir triomphé. L’ancienne philosophie naturelle a laissé place à une physique fondée sur l’expérimentation et les mathématiques, tandis que de nouvelles sciences se sont constituées, couvrant désormais tous les domaines des savoirs ou presque. La science forme le cœur du projet des Lumières, auquel elle fournit à la fois un argumentaire et des moyens d’application. Que l’entreprise scientifique puisse servir au perfectionnement des arts et à l’amélioration de la vie des hommes est désormais une conviction largement partagée.

Comment s’est effectuée cette grande transformation ? C’est ce que nous avons voulu retracer et expliquer dans ce livre. En premier lieu, la condition des hommes de savoir s’est profondément modifiée à l’époque moderne. La tendance générale a été à la différentiation du monde intellectuel, avec la fin du système scolastique qui caractérisait les universités. Des communautés d’intérêt, composées de lettrés, d’amateurs, d’administrateurs et de praticiens des métiers, se sont constituées autour de domaines et de thèmes spécifiques, par exemple les mathématiques, la géographie, la chimie, l’histoire naturelle ou l’anatomie. Ces regroupements hétérogènes, animés chacun par un projet, sont directement à l’origine de nos actuelles disciplines scientifiques. En même temps, les hommes de savoir ont trouvé de nouveaux publics, grâce, notamment, à l’invention de l’imprimerie et au développement de l’enseignement humaniste. Autant par intérêt que par passion, les nouvelles élites aristocratiques et marchandes ont manifesté dès la Renaissance une soif de connaissances et une curiosité remarquable, apportant leur soutien aux érudits et aux savants. Les États, de leur côté, ont eu besoin d’experts pour renforcer leur pouvoir et leur contrôle sur les peuples et les territoires, tant en Europe qu’outre-mer. À partir de la seconde moitié du XVIIème siècle, la science moderne s’est organisée sur ces bases, dans le cadre des académies et des sociétés savantes, avant de se diffuser très largement, par le livre, par l’enseignement et même par le spectacle, au cours du siècle suivant.

La science moderne a également apporté un bouleversement des représentations et des croyances, au moins pour la partie la plus éduquée de la société, certes encore limitée en nombre, mais largement dominante en termes d’influence et de richesse. Lorsque l’Europe chrétienne s’est divisée au début du XVIème siècle, plongeant pour longtemps dans la violence, le monde des humanistes et des érudits a été emporté par le torrent des controverses religieuses. Mais, en même temps, c’est de son sein qu’a été lancée l’entreprise de sape la plus radicale de la doctrine chrétienne, telle qu’elle avait été établie à la fin de l’Antiquité, puis au Moyen-âge. D’un côté, les Écritures saintes ont fait l’objet d’une lecture historico-critique, qui les a désacralisées. De l’autre, le système physico-théologique de la scolastique, laissé intact par les réformes protestantes, a été attaqué et renversé. Le géocentrisme a été abandonné, en dépit de la condamnation de Galilée, et la philosophie naturelle a été remplacée par la physique mécaniste dans sa version cartésienne, puis newtonienne. L’idée même de miracle et de providence a perdu ainsi de sa pertinence. Au Dieu personnel et incarné de la Révélation, est venu s’ajouter, sinon se substituer, un Dieu lointain et impersonnel, simple législateur et horloger du monde. La nature, autrefois divine et peuplée de forces occultes, a été réduite à une ressource inépuisable à exploiter. De créature, l’homme est devenu le démiurge de son destin. »

Bruno Belhoste, « Conclusion » in, Histoire de la science moderne, Paris, Armand Colin, 2016, pp. 271-272.

 

"Etre républicain en France de 1870 à nos jours"

Définitions :

Bibliographie

 Documentation :

 

 

 

 "Fiction et histoire"

Cette thématique est en vogue. Elle fait l’objet de nombreuses publications récentes et de travaux novateurs. La semaine de l’histoire lui a consacré une étude en 2009. Assez curieusement, l’association des deux termes se fait souvent dans ce sens : d’abord fiction et ensuite histoire. C’est toujours le premier terme qui donne le regard à porter sur le second. Donc regarder l’histoire par le prisme de la fiction. On pourrait croire de prime abord qu’il s’agit de termes antinomiques sur le fond car la fiction est une représentation qui constitue un monde autonome, ou du moins partiellement distinct du réel. L’histoire, quant à elle, est une représentation qui tente quant à elle de se rapprocher le plus possible du réel des sociétés passées. L’histoire raconte le monde en l’objectivant. En subordonnant la multiplicité des expériences individuelles à la causalité historique, elle se donne à lire comme le récit des événements significatifs du passé. 

La fiction, au contraire, raconte le monde tel qu’il est expérimenté par l’identité subjective. Les personnages de fiction nous donnent ainsi accès aux points aveugles de l’histoire. En laissant la parole à diverses sensibilités, la fiction dévoile sa portée critique, car elle permet de rendre compte de l’expérience de l’histoire. De même, nous ne pouvons que constater la différence de forme prise par ces deux formes discursives. La fiction caractérise toute œuvre narrative, littéraire ou même cinématographique alors que l’histoire se veut un discours qui dépasse le seul cadre artistique. Pourtant certains points semblent communs à ces deux approches. L’expérience imaginaire nourrit les deux formes de récit. L’intrigue peut servir de moteur à leurs productions. 

Les enjeux semblent se situer autour des notions de véracités et de vraisemblable. Pour être simple, voire simpliste, nous pourrions prendre la citation des frères Goncourt : « L’histoire est le roman qui a été ; le roman est de l’histoire qui aurais pu être » (Edmond et Jules Goncourt, Idées et sensations, Paris, Fasquelle, 1904, p. 147). C’est souvent sur ce seul aspect que les curricula de l’enseignement secondaire prennent appui. Pourtant, la question est plus complexe et renvoie notamment au processus de construction du récit tout en prenant en compte les décalages, les écarts, les fossés parfois entre le temps de l’histoire et celui de sa narration. Mais aussi de sa narration et celui de sa réception car pour reprendre Roland Barthes, ce dernier souligne « le divorce accablant de la connaissance et de la mythologie. La science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre ». Afin de démêler ces questions complexes, il convient de décomposer l’objet fictionnel selon une analyse dialogique prenant en compte des paradigmes autant scientifiques qu’artistiques. Les récents travaux d'Yvan Jablonka proposent une synthèse éclairée sur cette problématique. 

 

9782021137194

« Peut-on imaginer des textes qui soient à la fois histoire et littérature ? Ce défi n’a de sens que s’il fait naître des formes nouvelles. L’histoire et la littérature peuvent être autre chose, l’une pour l’autre, qu’un cheval de Troie. Mon idée est la suivante : l’écriture de l’histoire n’est pas simplement une technique (annonce de plan, citations, notes en bas de page), mais un choix. Le chercheur est placé devant une possibilité d’écriture. Réciproquement, une possibilité de connaissance s’offre à l’écrivain : la littérature est douée d’une aptitude historique, sociologique, anthropologique.

Parce que, au XIXème siècle, l’histoire et la sociologie se sont séparées des belles-lettres, le débat est habituellement sous-tendu par deux postulats : les sciences sociales n’ont pas de portée littéraire ; un écrivain ne produit pas de connaissances. Il faudrait choisir entre une histoire qui serait ”scientifique”, au détriment de l’écriture, et une histoire qui serait ”littéraire”, au détriment de la vérité. Cette alternative est un piège.

En premier lieu, les sciences sociales peuvent être littéraires. L’histoire n’est pas fiction, la sociologie n’est pas roman, l’anthropologie n’est pas exotisme, et toutes trois obéissent à des exigences de méthode. À l’intérieur de ce cadre, rien n’empêche le chercheur d’écrire. Fuyant l’érudition qu’on jette dans un non-texte, il peut incarner un raisonnement dans un texte, élaborer une forme au service de sa démonstration. Concilier sciences sociales et création littéraire, c’est tenter d’écrire de manière libre, plus juste, plus originale, plus réflexive, non pour relâcher la scientificité de la recherche, mais au contraire pour la renforcer.

Car, si l’écriture est une composante incontournable de l’histoire et des sciences sociales, c’est moins pour des raisons esthétiques que pour des raisons de méthode. L’écriture n’est pas le simple véhicule de ”résultats”, elle n’est pas l’emballage qu’on ficelle à la va-vite, une fois la recherche terminée ; elle est le déploiement de la recherche elle-même, le corps de l’enquête. Au plaisir intellectuel et à la capacité épistémologique s’ajoute la dimension civique. Les sciences sociales doivent être discutées entre spécialistes, mais il est fondamental qu’elles puissent aussi être lue, appréciées et critiquées par un public plus large. Contribuer, par l’écriture, à l’attrait des sciences sociales peut être une manière de conjurer le désamour qui les frappe à l’université comme dans les librairies.

En deuxième lieu, je souhaite montrer en quoi la littérature est apte à rendre compte du réel. Tout comme le chercheur peut incarner une démonstration dans un texte, l’écrivain peut mettre en œuvre un raisonnement historique, sociologique, anthropologique. La littérature n’est pas nécessairement le règne de la fiction. Elle adapte et parfois devance les modes d’enquête des sciences sociales. L’écrivain qui veut dire le monde se fait, à sa manière, chercheur.

Parce qu’elle produisent de la connaissance sur le réel, parce qu’elles sont capables non seulement de le représenter (c’est la vieille mimèsis) mais de l’expliquer, les sciences sociales sont déjà présentes dans la littérature – carnets de voyage, mémoires, autobiographies, correspondances, témoignages, journaux intimes, récits de vie, reportages, toux ces textes où quelqu’un observe, dépose, consigne, examine, transmet, raconte son enfance, évoque les absents, rend compte d’une expérience, retrace l’itinéraire d’un individu, parcourt un pays en guerre ou une région en crise, enquête sur un fait divers, un système mafieux, un milieu professionnel. Toute cette littérature révèle une pensée historienne, sociologique et anthropologique, forte de certains outils d’intelligibilité : une manière de comprendre le présent et le passé.

Voici donc les questions auxquelles ce livre tente de répondre :

-  Comment renouveler l’écriture de l’histoire et des sciences sociales ?

-  Peut-on définir une littérature du réel, une écriture du monde ?

Ces questions convergent vers une troisième, plus expérimentale : Peut-on concevoir des textes qui soient à la fois littérature et sciences sociales ?

On réfléchit à la manière d’écrire l’histoire depuis que l’histoire existe. Il y a deux siècles et demi, Voltaire observait qu’on en a tant dit sur cette matière, qu’il faut ici en dire très peu. On s’est moins demandé ce que les sciences sociales apportaient à la littérature et ce que la littérature faisait aux sciences sociales. La raison en est que ces dernières sont relativement jeunes. Depuis le début du XXème siècle, l’histoire et la sociologie forment une ”troisième culture”, entre les lettres et les sciences dites exactes. Les guerres mondiales et les crimes de masse ont aussi changé la donne : histoire, témoignage, littérature n’ont plus la même signification depuis 1945.

Ce livre traite de la littérature perméable au monde, de l’histoire-science sociale, épistémologie dans une écriture. L’histoire est plus littéraire qu’elle le veut ; la littérature plus historienne qu’elle le croit. Chacune est plastique, riche d’extraordinaires potentialités. Depuis quelques années, les initiatives fleurissent de toutes parts, dans des revues, dans des livres, sur Internet et au sein de l’université. On sent un immense appétit, du côté des chercheurs, des écrivains, des journalistes, et une immense attente, du côté des lecteurs.

Cela ne revient pas à dire que tout est dans tout. Il y a les sciences sociales, il y a la littérature : la ligne de démarcation existe. Si, comme le dit Philip Roth, l’”écrivain n’a de responsabilité envers personne”, le chercheur est au moins responsable de l’exactitude de ce qu’il affirme. Je souhaite simplement mener une réflexion sur les genres, pour voir si la ligne de démarcation ne pourrait pas devenir un front pionnier. Explorer une piste, non asséner une norme ».

Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Le Seuil, 2014. 

 

Fiction et politique

« L’historiographie est généralement le privilège des régimes dominants. Ainsi, de plusieurs histoires une seule est officiellement conservée, commémorée et enseignée. Sa consécration permet de justifier l’ordre établi et de faire taire les mémoires dissidentes. Toutefois, en mettant en scène la volonté des mémoires qui persistent à se souvenir au-delà de la pression exercée par des représentations triomphantes, la fiction crée une brèche dans l’homogénéité de l’histoire. Les fictions construites à partir de la remémoration d’un passé proscrit, de la magnification de défaites cuisantes ou encore de la déconstruction de mythes héroïques participent à l’émergence et à la catharsis des contre-histoires.

Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, dans son article intitulé ”Entre Histoire, fiction et tragédie : Les Don Pedre de Voltaire”[1], se saisit de l’utilisation du personnage de Don Pedre par Voltaire afin de mettre à mal l’aspect idéologique de l’histoire. Elle ajoute que le combat de Voltaire est méthodologique ; c’est pourquoi il ”procède à une déconstruction des personnages les plus célèbres et les plus révérés par la légende en les situant dans un contexte dépréciatif” (p. 164) de façon à dénoncer l’instrumentalisation politique des faits historiques.

Dans ”Comment (re)présenter un échec national ?”, Zbigniew Przychodniak propose une lecture critique des chroniques lyriques de la révolution polonaise. Les témoignages historiques des ”poètes-soldats” qui ont participé à ce soulèvement étaient marqués par un fort désir de reprogrammer une mémoire collective marquée par la déconfiture de l’insurrection. Toutefois, indique Przychodniak, les représentations mises de l’avant par les écrivains romantiques de l’époque auraient davantage participé à l’élaboration d’une utopie historique ou encore à ”un mythe héroïque de l’insurrection” (p. 174) qu’à la formation d’un récit historique.

Dans ”L’histoire, la fiction et la faute”, Michael A. Soubbotnik reprend la nouvelle de l’écrivain américain Nataniel Hawthorne, intitulée ”Roger Malvin’s Burial”[2], afin de penser la problématique de la représentation du mensonge historique. Selon Soubbotnik, la fiction serait ici mobilisée de manière à corriger la représentation mensongère de la Conquête de l’Ouest. Le reversement de la représentation héroïque de la genèse américaine redéfinirait ainsi l’Amérique comme ”une nation ordinaire, c’est-à-dire nécessairement coupable” (p. 190).

L’article ”Qui dit vrai ? Ahmadou Kourouma ou l’histoire ironique”, de Brigitte Dodu, approfondit la problématique de la représentation historique de l’Afrique post-coloniale. Longtemps considérée comme un monde anhistorique, l’Afrique fut animée, lors de la deuxième moitié du XX siècle, par ”un puissant désir de réparation” (p. 195). Dénonçant l’histoire universelle occidentale, plusieurs intellectuels africains ont préféré la littérature à l’historiographique classique pour représenter l’historicité du peuple africain. Ainsi, l’œuvre de Kourouma, en mettant en scène le heurt de deux ”cosmologies irréconciliables”, tente de déboulonner le mensonge occidental selon lequel l’Afrique serait sans passé et sans histoire.

Marianne Bloch-Robin, dans ”La Cousine Angélique de Carlos Saura[3] ou la mémoire salvatrice”, aborde diverses problématiques soulevées par la mémoire des vaincus de la Guerre Civile espagnole. En soutenant que le travail de remémoration est à la base de la refonte de l’histoire, Bloch-Robin avance que la force du film de Saura est de marquer ”l’omniprésence du passé dans le présent” (p. 213). En déjouant la censure du régime franquiste, la fiction a donc permis d’affirmer la présence d’une contre-histoire qui, à ce moment, n’aurait pu émerger autrement ».

G. Séginger et Z. Pryzchodniak (dir.), Fiction et histoire, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Formes et savoirs », 2011, 304 p. Compte-rendu de Christian Guay-Poliquin Université du Québec à Montréal.


[1] « Don Pedre, plus connu sous le nom de Pierre le Cruel, naquit à Burgos en 1334 et mourut à Montiel en 1369. Il fut l'allié d'Alphonse IV de Portugal contre les Maures et roi de Castille et de León de 1350 à 1369, en dépit de diverses révoltes dont celle menée par son demi-frère Henri de Transtamare (1333-1379) qui revendiquait le trône. Il eut comme allié Édouard, prince de Galles qui l'aida à remporter la victoire de Najera sur son demi-frère et sur Du Guesclin en 1367, mais fut battu et assassiné à Montiel par son frère qui lui succéda sous le nom de Henri II dit le magnifique et régna de 1369 à 1379. Voltaire s'intéresse à la figure contrastée de Don Pedre, sorte de Janus moral de l'histoire espagnole, bien avant les premières ébauches de sa tragédie, dans l'Essai sur les mœurs, au chapitre LXXVII, intitulé : "Du Prince Noir, du roi de Castille, Don Pedre le Cruel et du connétable Du Guesclin". La tragédie, qui ne fut pas représentée, est l'occasion, ainsi que les paratextes (Épître à d'Alembert, Discours historique et critique et Fragment) d'une réhabilitation du souverain castillan en s'appuyant sur une réflexion plus vaste sur l'esprit partisan et nationaliste des historiens, l'absence de sources, la substitution de la fable à la vérité historique, bridée par le pouvoir et la censure. Mais au-delà de la politique, la pièce propose une méditation pessimiste sur un monde qui s'achève » (http://lis.u-pec.fr/publications/don-pedre-extrait-de-oeuvre-completes-de-voltaire--472556.kjsp).

[2] « Following Lovewell’s Fight (Hawthorne uses the name Lovell's Fight) in 1725, two survivors of the battle struggle to return home. Roger Malvin and Reuben Bourne are both wounded and weak, and they have little hope that they will survive. They rest near a rock that resembles an enormous tombstone. Malvin, a much older man, asks Reuben to leave him to die alone, since his wounds are mortal. Reuben insists that he will stay with Malvin as long as he remains alive, but the old man knows that this would mean death for both of them. Malvin convinces Reuben to leave.Reuben survives. Because he has not honored his promise to bury the old man, he is not at peace. His unease is exacerbated by his failure to tell his fiancée, Dorcas (Malvin's daughter) that he left her father to die. Reuben is considered a brave man by his compatriots, but inside he feels that he has failed them. Dorcas and Reuben marry, but Reuben's guilt-induced moodiness renders him unfit for normal society. Many years later, when Reuben and Dorcas's son is already grown, Reuben decides that they will move away from the town and settle on a piece of land by themselves. They travel through wilderness. While encamped, Reuben and his son wander into the forest while Dorcas prepares a meal. They become separated. Reuben thinks he hears a deer in the brush and fires his gun, but discovers that he has killed his own son. As he observes the terrain, he realizes it is the same place where he had left Roger Malvin many years before » (https://en.wikipedia.org/wiki/Roger_Malvin).

[3] La Cousine Angélique (titre original : La prima Angélica) est un film espagnol réalisé par Carlos Saura en 1973. Synopsis : Luis, célibataire d'une quarantaine d'années, fixé à Barcelone, revient à Ségovie assister au transfert, dans le caveau de famille, des dépouilles de sa mère, décédée vingt ans auparavant. Il loge chez sa tante Pilar, mère de la cousine Angélique qui, au cours des années de guerre civile, fut sa compagne de jeux et la première fille dont il fut amoureux. À présent, celle-ci est la mère d'une fillette pareillement dénommée et qui lui ressemble singulièrement. Le mari d'Angélique, un promoteur immobilier, offre, aux yeux de Luis, des traits de caractère proches de celui du père de sa cousine. Or, ce dernier était alors particulièrement redoutable et Luis se rappelle maintenant une promenade effectuée avec Angélique qui lui valut un sévère châtiment. Désormais, « les pesanteurs du passé envahissent progressivement l'esprit de Luis » (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Cousine_Angélique).

 

Fiction et histoire selon Zola

« Ici, l’écrivain n’est encore qu’un homme de science. Sa personnalité d’artiste s’affirme ensuite par le style. C’est ce qui constitue l’art. On nous répète cet argument stupide que nous ne reproduisons jamais la nature dans son exactitude. Eh ! sans doute, nous y mêlerons toujours notre humanité, notre façon de rendre. Seulement, il y a un abîme entre l’écrivain naturaliste qui va du connu à l’inconnu, et l’écrivain idéaliste qui a la prétention d’aller de l’inconnu au connu. Si nous ne donnons jamais la nature tout entière, nous vous donnerons au moins la nature vraie, vue à travers notre humanité ; tandis que les autres compliquent les déviations de leur optique personnelle par les erreurs d’une nature imaginaire, qu’ils acceptent empiriquement comme étant la nature vraie. En somme, nous ne leur demandons que de reprendre l’étude du monde à l’analyse première, sans rien abandonner de leur tempérament d’écrivain.

Existe-t-il une école plus large ? Je sais bien que l’idée emporte la forme. C’est pourquoi je crois que la langue s’apaisera et se pondérera, après la fanfare superbe et folle de 1830. Si nous sommes condamnés à répéter cette musique, nos fils se dégageront. Je souhaite qu’ils en en arrivent à ce style scientifique dont M. Renan fait un si un grand éloge. Ce serait le style vraiment fort d’une littérature de vérité, un style exempt du jargon à la mode, prenant une solidité et une largeur classiques. Jusque là, nous planterons des plumets au haut de nos phrases, puisque notre éducation romantique le veut ainsi ; seulement, nous préparerons l’avenir en rassemblant le plus de documents humains que nous pourrons, en poussant l’analyse aussi loin que nous le permettra notre outil.

Tel est le naturalisme, ou, si ce mot effraie, si l’on trouve une périphrase plus claire, la formule de la science moderne appliquée à la littérature. »

Émile Zola, La Curée, chap. II.

Bibliographie

Semaine de l’histoire 2009 : Histoire et fiction

Ecole normale supérieure - Archives

En 1890, Poincaré présente son grand théorème sur l'imprédictibilité de certaines dynamiques physiques comme "résultat négatif" ; il constitue en fait un passage important pour la compréhension de l'aléatoire classique.

http://www.diffusion.ens.fr

Documentation :

Nouveau : Fiction et histoire

Revue Vingtième siècle (2011) :

Les Annales (2010) :

 Le Débat (2011)

"Le projet européen de 1945 à nos jours : enjeux internationaux, adhésions, contestations"

« On ne peut qu’être frappé par la difficile émergence des études européennes dans la communauté historienne alors qu’elles ont depuis longtemps conquis leurs lettres de noblesse chez les juristes, les politistes ou chez les économistes. Cette lente progression s’est doublée d’une conquête inachevée d’une autonomie par rapport à ”l’école” des relations internationales, dans la lignée des travaux de Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle, dont elles constituent toujours un versant. Ce retard est certainement imputable au problème de l’ouverture des archives qui a handicapé pendant longtemps la recherche historique, mais il ne peut s’expliquer seulement par ce phénomène, qui touche tous les secteurs de l’histoire du temps présent, et d’autres raisons doivent être convoquées. La conception idéalisée, quasi téléologique, de l’écriture historienne qui a prévalu concernant l’intégration européenne porte peut-être une part de responsabilité, mais ne peut expliquer à la fois la difficile reconnaissance de ces questions européennes chez les universitaires français, et le désamour du public et du lectorat potentiel pour un domaine, qui selon les dires de nombre d’éditeurs, ne constitue pas un segment porteur. Du moins peut-on le constater lorsqu’il ne s’agit pas de question d’actualité, mais d’études européennes avec un amont historique.

L’institutionnalisation de ces questions européennes a connu bien des vicissitudes : l’inscription des thématiques européennes dans les cursus universitaires, au début des années 1960, s’est d’abord déroulée au sein de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), car elle n’était pas à l’époque envisageable dans une université française. Certes, il convient bien évidemment de le signaler, quelques historiens s’y intéressaient déjà, et bien sûr en premier lieu Jean-Baptiste Duroselle, qui fut le premier à entamer une réflexion sur l’unité européenne dès 1952, complétée par son ouvrage en 1965 sur L’Idée d’Europe dans l’histoire. Il convient de lui associer Pierre Gerbet, pionnier lui aussi de l’histoire des constructions européennes, qui bénéficia du soutien constant de Jean-Baptiste Duroselle dans ses initiatives. Pierre Gerbet a mis sur pied le premier cours de politique européenne, en 1964, à l’IEP. Existaient déjà à cette époque un cours de droit européen dispensé par le professeur Reuter et un d’économie européenne. Mais rien sur la politique d’unification européenne ! Ce cours, souhaité par le directeur de l’époque Jacques Chapsal et doublé d’un séminaire, attira et forma nombre d’étudiants venus des différentes sections et pas seulement des relations internationales. Dans les années 1970, les études étaient encore très parcellaires et orientées par les historiens des idées politiques vers une réflexion sur l’origine du mouvement européiste et du mouvement fédéraliste. Cette tendance très en vogue chez les chercheurs italiens, souvent acquis aux idéaux fédéralistes, et chez certains chercheurs allemands (Walter Lipgens), aboutissait à un paysage de la recherche un peu émietté, même si les contacts étaient noués entre Français, Italiens et Allemands. Stimulés par l’ouverture progressive des archives et les réflexins (au premier rang desquelles celles d’Alan Milward) sur la dialectiques entre approches nationales, défense des intérêts nationaux et leur instrumentalisation dans une construction supranationale, les historiens se sont mis en ordre de marche. Au début des années 1980, les archives communautaires de la CECA venaient en effet d’être déposées à l’institut universitaire de Florence (IUF) et les archives nationales allaient tomber dans le domaine public.

Le grand tournant fut pris donc en janvier 1982, lorsqu’à l’initiative de la Commission européenne, se réunit à Luxembourg un grand colloque d’historiens sur l’Europe. La liste des invités était impressionnante : parmi les 80  participants les professeurs Duroselle, Gerbet, Girault, Kaspi, Poidevin, Roth, Vaïsse pour la France, Joseph Becker, Walter Lipgens pour l’Allemagne, Enrico Serra, Di Nolfo pour l’Italie, Alan Milward pour l’Angleterre, Gilbert Trausch pour le Luxembourg… C’est à la suite de cette réunion scientifique et dans la perspective de l’ouverture des archives pour le 30ème anniversaire de la création de la CECA que se constitua le Groupe de liaison des historiens auprès des Communautés européennes. Composé de 12 membres fondateurs, ce groupe avait pour finalité de promouvoir la recherche sur l’histoire européenne et de mobiliser des jeunes chercheurs sur de nouvelles thématiques qui devaient faire l’objet de futurs grands colloques. Le groupe bénéficia du soutien actif du secrétaire général de la Commission, Emile Noël, et de la responsable de la Division de l’information universitaire et de la jeunesse, Jacqueline Lastenouse, qui fut à l’origine ensuite de la création des chaires Jean Monnet. Toute une série de grands colloques restés dans les mémoires historiennes a ponctué l’activité de ce groupe et balisé en quelque sorte de nombreuses pistes de la recherche. On peut ainsi citer l’Histoire des débuts de la construction européenne (mars 1948-mars 1949) organisé par Raymond Poidevin à Strasbourg en 1984, Les Débuts du plan Schuman (1950-1951) sous la direction de Klaus Schwabe, en 1986, à Aix-la-Chapelle, L’intégration européenne du plan Schuman aux Traités de Rome. Projets et initiatives, déceptions et échecs, sous la direction de Gilbert Trausch à Luxembourg, en 1989, et le colloque qui est resté la référence, La relance européenne et les traités de Rome, en 1987, à Rome sous la direction d’Enrico Serra. Ce colloque de Rome fit date en raison de la participation de témoins et d’acteurs de l’époque, pratique qui n’était pas aussi courante qu’aujourd’hui. Il a, en outre, totalement renouvelé l’histoire des négociations des traités de Rome et de la relance européenne.

Au milieu des années 1980, le Groupe de liaison lança sa Revue d’histoire de l’intégration européenne (”Journal of European Integration History”), trilingue (anglais, allemand, français), plus ouverte aux jeunes chercheurs et qui constitua progressivement un pôle européen pour les historiens dont la qualité fut indéniable. Elle fut en tout cas la première à se consacrer uniquement à l’histoire de la construction européenne. Tout ce mouvement a généré des réseaux d’historiens européens : en 1987, par exemple, on vit les Associations universitaires des études européennes des pays membres se regrouper dans une structure européenne ECSA – Europe ou European Community Studies Association. Cette structure organisa de nombreux colloques pluridisciplinaires. Tout cela fut développé dans les années 1980. Dans les années 1990, le mouvement s’est ralenti et le rythme des colloques a un peu faibli. En 1993, sous la direction de Michel Dumoulin eut lieu, à Bruxelles, un colloque sur Plans de guerre pour l’Europe d’après guerre, puis en 1997 Alan Milward et Anne Deighton ont organisé à Oxford un colloque Elargissement, approfondissement et accélération et Wilfried Loth un autre à Essen en 1999, sur Crises et compromis de 1963 à 1969. Dans les années 2000, des séquences chronologiques spécifiques font l’objet de colloque (en 2002, sous l’égide d’Antonio Varsori Acteurs et politiques sur la période 1957-1972) ou encore en 2004 Marie-Thérèse Bitsch et Gérard Bossuat étudièrent L’Europe unie et l’Afrique, de l’idée de l’Eurafrique à la convention de Lomé 1. Tous ces colloques sur les temps forts de la construction européenne ont fait l’objet de publications comportant une série de treize volumes.

Les thématiques de recherche se sont ensuite diversifiées grâce aux initiatives de René Girault : en 1989, il décida de fonder un vaste projet de recherche sur Identité et conscience européennes au XXème siècle où l’approche politique et diplomatique pratiquée jusque-là se trouvait associée à l’analyse des structures sociales et des mentalités. Ce vaste programme associa dans un premier temps des historiens de nombreux pays d’Europe occidentale, puis d’Europe centrale. Un vaste réseau transnational se constitua, composé de sous groupes thématiques travaillant sur des sujets considérés comme vecteurs d’une européanisation progressive des identités. Ainsi furent mis sur pied des groupes sur l’étude des cercles économiques, des élites politiques et intellectuelles et des opinions publiques, des espaces frontaliers, des mémoires de guerre, des phénomènes religieux ou encore de l’histoire et des historiens de l’Europe au XXème siècle… Les résultats de ces recherche ont été publiés sous la direction de Robert Frank, qui avait pris la succession de René Girault à l’Université de Paris 1, en 2004 aux Presses de la Sorbonne. Au début des années 2000, le groupe Identités poursuivit son cheminement en lançant un programme consacré aux Temps et histoire de l’Europe.

L’atmosphère et l’esprit qui avaient présidé à la célébration du 30ème anniversaire du Traité de Rome ne se retrouva pas lors du 50ème anniversaire, où les historiens s’efforcèrent de faire un point sur leurs recherches : tous les témoins remarquèrent que la cérémonie n’avait pas le même lustre et n’avait plus rien à voir avec l’atmosphère de 1987, où les milieux universitaires entretenaient des relations privilégiées avec les principaux acteurs de la politique d’information de la Commission européenne. Toutefois, il convient de signaler le succès des chaires Jean Monnet notamment pendant les années 1990 : de 1989, date de leur lancement, à 2000, 491 chaires ont été créées dans les pays membres ainsi que 1500 cours et modules Jean Monnet et 200 aides diverses à la recherche et au lancement d’initiatives européennes dans toutes les universités.

La discipline historique a fini par reconnaître les études européennes en inscrivant, en 2007, aux concours de recrutement de l’enseignement secondaire (CAPES-Agrégation) comme question d’histoire contemporaine Penser et construire l’Europe de 1919 à 1992 ; ce retard est éminemment révélateur car si au début de cette aventure, les travaux utilisables étaient trop partiels, depuis des années la bibliographie à disposition est tout simplement considérable.

Comme l’écrit Antonio Varsori, le problème reste entier entre les partisans de l’autonomie de l’histoire de l’intégration européenne et les tenants d’une perspective plus large et plus globale. Un point est sûr toutefois, c’est en conjuguant les regards et grâce aux apports combinés de l’histoire, de la science politique ou encore de l’économie, et tout en gardant les spécificités de chacune de ces spécialités académiques, que les études européennes pourront encore progresser ».

Christine Manigand, « Europe », in Claude Gauvard et Jean-François Sirinelli, Dictionnaire de l’historien, Paris, PUF, 2015.

Recueil de documents

Quelques définitions pour entrer dans la thématique

Revue Parlement(s) (2007)

"La guerre en Europe au XXème siècle" 

de-la-grande-guerre-au-totalitarisme

La violence : La violence

Témoignages, mémoire et histoire : Témoignages, mémoire et histoire

Mémoire et histoire (documents) : Recueil de documents

Les balkans : Les balkans poudrière du XX siècle

L'Europe et les guerres coloniales : L'Europe et les guerres coloniales au XX siècle

Les guerres civiles en Europe : Les guerres civiles en Europe

 

 

 

La violence au XXème siècle (Journée d'étude organisée par l'Université de Stanford, 21 mars 2011)

Capture d’écran 2015-04-04 à 17

- "Les mots et les actes", Jean-François Sirinelli : Les mots et les actes

- "Enlightenment and Violence", Keith Michael Baker : Enlightenment and Violence

- "Les pogroms des guerres civiles russes (1918-1921), Nicolas Werth : Les pogroms des guerres civiles russes

- "Histoire du combat, histoire du corps", Stéphane Audoin-Rouzeau : Histoire du combat histoire du corps

- "Un indicateur de la nazification de la Wermacht en France en 1940", Un indicateur de la nazification

 

Se préparer pour l'oral :

 

Géographie

 "Les mobilités humaines, étude géographique"

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Bibliographie

Approche notionnelle

 

 

 

  

"La France et ses régions en Europe et dans le Monde"

Cours_1 : Le territoire français, permanences et mutations.

Cours_2 : La place de la France en Europe et dans le Monde.

Sujet : Le territoire français face l'intégration européenne et à la mondialisation.

Cours_3 : Aménagement du territoire

Complément_sujet : "Crises ou mutations des espaces ruraux"

Croquis de synthèse : Croquis

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Croquis de synthèse : Croquis

2 sujets avec documents

 

"Les Suds dans la mondialisation".74241bcb_a6c3_4941_9004_7e40ecb731b7

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29 mars 2016

Ecrire en histoire

27 mars 2016

Nouvelles questions CAPES 2017

En Histoire :
- Gouverner en Islam entre le Xe siècle et le XVe siècle (Iraq jusqu'en 1258, Syrie, Hijaz, Yémen, Égypte, Maghreb et al-Andalus) (question maintenue)
- Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés du XVIe siècle au XVIIIe siècle (période de la Révolution française exclue) en Angleterre, France, Pays-Bas/Provinces Unies et péninsule italienne. (nouvelle question)
- Le Moyen-Orient de 1876 à 1980 (nouvelle question)

En Géographie :
- Géographie des mers et des océans (question maintenue)
- L’Union indienne (question maintenue)
- La France des marges (nouvelle question)

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25 mars 2016

« La Révolution nationale et l'exaltation impériale à La Réunion durant la période de Vichy (1940-1942) "

 

Pierre-Eric FAGEOL

Université de La Réunion

 

« Notre devoir est simple, à nous Français d’outre-mer, deux fois Français, liés indissolublement à la Patrie aujourd’hui malheureuse ; nous sommes avec elle dans la mauvaise fortune comme nous l’avons été dans des temps meilleurs. Nous participerons avec tous nos moyens, aux efforts du Gouvernement français dans l’œuvre de rénovation nationale qu’il a courageusement entreprise et qui porte déjà ses fruits. »[1]

     C’est par ces mots que le Gouverneur de La Réunion, Pierre Aubert, répond aux interrogations suscitées au sein de l’opinion publique réunionnaise par l’entrevue de Montoire en octobre 1940. Le positionnement de l’île sur la suite à donner aux événements est dans tous les esprits et nul ne songe à déroger à la règle de la légalité politique et du dévouement patriotique à la mère Patrie. Cependant, par le prisme de la Révolution nationale et des nouvelles valeurs défendues par le régime de Vichy, le principe patriotique est en rupture totale avec le passé. Loin de s’inscrire dans un patriotisme révolutionnaire où la patrie n’est qu’une réalité idéologique, les discours mettent plutôt en valeur un patriotisme « traditionnel » qui fait de la France un être moral doté de vertus dont l’incarnation est composée des éléments constitutifs de la société. Si pour la première forme, l’impulsion ne peut provenir que de la Métropole en qualité de principe identitaire sublimé ; pour la seconde, elle doit être issue de la réalité nationale et donc des valeurs défendues par le pays. C’est pourquoi, la mise en évidence des vertus de la Colonie au sein d’un Empire glorifié devient un leitmotiv dans les discours de la période considérée.

     Selon cette logique, la notion de centre et de périphérie s’en trouve perturbée. L’initiative appartient désormais à la périphérie coloniale. La Révolution nationale se double ainsi d’une révolution impériale permettant une fusion identitaire entre le « national » et le « colonial ». Peu importe la réalité politique d’une telle rhétorique. Même si l’Empire n’est plus qu’une peau de chagrin[2] et de plus en plus coupé des réalités métropolitaines, les discours idéalisent une conception impériale régénératrice de la Nation. Le mythe colonial de Vichy met ainsi en évidence que « moins il y avait d’empire réel, plus il y avait d’empire idéalisé »[3].

     Dans ce contexte, il est délicat de se soustraire de la logique officielle prônée par les autorités coloniales de l’île qui ont créé un artefact impérial d’autant plus mobilisateur qu’il s’exerce hors de toute pression de l’occupant. Le principe d’autorité s’applique dès lors sans fard et dans toute sa rigueur[4] sur une société réunionnaise, certes sceptique sur la marche à suivre, mais qui peut se reconnaître dans certaines valeurs ainsi défendues. Au-delà d’une divergence d’intérêt ou d’un réel enracinement social du régime, il convient surtout de s’interroger sur la force persuasive d’une telle rhétorique.

Les enjeux d’un positionnement politique

Le temps des choix

     L’adhésion des autorités coloniales au pétainisme s’inscrit dans une logique historique de maintien de la légalité politique mais s’explique également par la spécificité du contexte réunionnais depuis la déclaration de la guerre. La prise de fonction dès le début de l’année 1940 du Gouverneur Pierre Aubert rassure d’abord l’opinion publique soucieuse, depuis le départ à la retraite de son prédécesseur Joseph Court le 3 décembre 1939, de continuer l’effort de guerre alors consenti. En effet, sa carrière plaide en faveur de l’enthousiasme qu’il suscite dès son arrivée sur l’île comme en témoignent les déclarations dans la presse des édiles locaux. Les très aimables paroles de bienvenue dont il a été honoré à son arrivée lui ont été droit au cœur, rappelant ainsi que « la perle de l’océan Indien a revêtu, une fois de plus, pour recevoir son Gouverneur, cette parure de ”gentillesse” qui fleure la vieille province française. »[5]. Sa carrière honorable suit les méandres des réseaux coloniaux où l’allégeance personnelle fait souvent figure de carte de visite. La proximité de destin entre les différents administrateurs de l’Empire explique pour une bonne part les choix entrepris par chacun lors de la défaite de la France. Le mimétisme de contrainte explique ainsi les prises de position parfois contradictoires avec les idéaux initialement déclarés par le gouverneur Pierre Aubert. En effet, l’analyse de ses discours entre février et juin 1940 témoigne d’une volte-face politique qui l’amène dans un premier temps à défendre le principe d’une participation active à l’effort de guerre avant d’accepter les conséquences de l’armistice.

     Dès son intronisation, Pierre Aubert fait preuve d’une certaine prudence en faisant en sorte que « la Réunion, tout en sacrifiant largement à l’autel de la Patrie, non seulement, souffre le moins possible de l’état de guerre, mais poursuive encore la route de son développement harmonieux. »[6] Ce n’est qu’avec le début des hostilités sur le sol français et les premiers remaniements politiques qui s’en suivent que le Gouverneur s’implique plus résolument dans une propagande patriotique très largement éculée. Annonçant le 26 mai 1940 le remaniement ministériel qui voit le retour du Maréchal Pétain au sein du gouvernement, il n’hésite pas à exprimer toute sa confiance dans la victoire finale que laissent préjuger les atouts dont dispose encore la France pour faire face à l’ennemi.  

« Ces hommes, ces noms, ces chefs, notre magnifique armée (…), les armées alliées et les magnifiques exploits des aviateurs (…), un Gouvernement dynamique et fort, nous forgent une cuirasse de confiance en la Victoire finale. Il est interdit de douter. Le civil n’est plus un spectateur, tantôt plein d’espoir, tantôt angoissé ; le combat est économique autant que militaire. »[7]

Le principe de la guerre totale et l’injonction de la victoire sont ainsi mis en exergue. Cette dernière ne sera que le fruit d’un effort conjugué des forces armées, de la cohésion politique et des concessions économiques consenties par les Français. Dans cette logorrhée où les superlatifs sont légion, la Nation en armes peut également compter sur l’appui des Britanniques et notamment sur leur potentiel impérial qui est capable de « mobiliser des forces formidables qui emporteront la décision. »[8] Surtout, la victoire semble inéluctable car les forces déployées sont « au service d’un idéal : le respect de la personne humaine. » Cette allocution radiodiffusée fit une très forte impression sur tous ceux qui l’entendirent et recueillit selon la presse l’adhésion unanime de la population réunionnaise[9]. Les paroles du chef de la Colonie sont celles que l’opinion attendait[10], « elles disent ce qu’elles doivent dire »[11] et ne souffrent d’aucun commentaire. Elles prouvent le courage « d’un homme du Nord envahi »[12], ayant subi les ravages de la soldatesque allemande. C’est pourquoi « les Réunionnais ont trop le sentiment de leur responsabilité morale envers la Patrie pour ne pas se sentir entièrement d’accord avec leur Gouverneur. »[13]

     Lorsque l’épilogue tragique de la bataille de France est connu, le Gouverneur s’empresse de rassurer ses administrés en rappelant que « de toutes les parties du Monde, sont parvenus les vœux ardents des Français d’outre-mer et l’expression de leur volonté de sacrifier au redressement de la Patrie blessée. »[14] La presse met ainsi en parallèle à la fois le discours de Pierre Aubert et les premières bribes d’informations émanant d’une France Libre encore balbutiante. Informant l’opinion qu’un certain « Général de Gol » (sic) s’est imposé la noble tâche de constituer un Comité d’Union Nationale Français, les journaux divulguent les appels réitérés diffusés sur la BBC qui s’en prennent à la capitulation du Gouvernement Pétain. L’Empire n’est pas resté insensible à ces appels et « d’après les dernières nouvelles reçues de Londres, le mouvement du Général de Gol progresse rapidement en dehors de la France. »[15] N’ayant pas reçu d’instructions de la part de son ministère de référence, Pierre Aubert se montre prudent quant au positionnement que cela implique pour le Gouvernorat, même si les discours prononcés depuis son arrivée sur l’île laissent entrevoir un ralliement à la France Libre dont les idéaux rejoignent en partie ceux qu’il professe. D’ailleurs, ne proclame-t-il pas au gouverneur de Madagascar Marcel de Coppet sa « foi ardente en une victoire finale qu’obtiendront les Alliés en poursuivant en commun la guerre avec l’appui poussé de leurs empires. »[16] Cette parfaite communion d’âme avec le Gouverneur de Madagascar peut être interprétée comme un acte de subordination ou comme la résultante d’un certain pragmatisme politique. La Réunion dépendant militairement de la Grande île, les enjeux stratégiques impliquaient un tel rapprochement[17].

De la même manière, Pierre Aubert s’appuie sur les velléités patriotiques exprimées par les corps constituants de l’île plutôt favorables à poursuivre le combat. Même s’il tempère ce qu’il considère comme des manifestations inopportunes, il relaie auprès de sa hiérarchie les messages de soutien à la Métropole et les avis favorables à la poursuite des combats[18].

     Pourtant, même si les prises de position sont plutôt propices à la sécession, le ralliement au régime de Vichy semble inévitable. Ce revirement politique s’explique à la fois par des considérations personnelles et par la prise en compte des enjeux politiques propres à la Colonie. Les liens personnels entretenus par Pierre Aubert avec le gouverneur de Madagascar Léon Cayla ont certainement influencé sa décision. Nouvellement nommé à la tête de la Grande île en remplacement de Marcel de Coppet, jugé trop favorable à la poursuite des combats, ce dernier se positionne immédiatement en faveur du Maréchal. Pierre Aubert sait désormais qu’il risque de perdre son poste en cas de décision contraire. Les injonctions du nouveau régime en place à Vichy et la volonté de ne pas déroger à son devoir d’administrateur colonial ont assurément pesé d’un grand poids dans sa décision finale. Cependant d’autres facteurs entrent en ligne de compte. L’anglophobie latente de nombreux administrateurs coloniaux a pu inconsciemment repousser l’idée d’un rapprochement avec les Britanniques. C’est d’autant plus probant que les contentieux impériaux s’inscrivent dans une réalité propre à l’océan Indien. Or le 23 juin, Pierre Aubert reçoit la visite de Maurice Gaud, Consul Britannique à La Réunion, qui lui remet de la part du sous-secrétaire d’Etat britannique des Affaires étrangères le message suivant :

« Le présent Gouvernement français en acceptant sous la contrainte les conditions de l’ennemi pour un armistice a été empêché de remplir la garantie solennelle de la France envers ses alliés britanniques. (…) Nous, le Gouvernement britannique et le Peuple britannique sommes résolus à continuer la lutte jusqu’à la fin. Nous avons fait appel aux autorités civiles et militaires de tous les territoires français d’outre-mer de se battre la main dans la main avec nous jusqu’à la victoire et ainsi remplir la garantie de la République française. Nous ferons tout en notre pouvoir pour maintenir l’intégrité et la stabilité économique de tous les territoires français d’outre-mer. Nous garantissons de plus que ces territoires seront pourvus de fonds pour couvrir le paiement des salaires et pensions de tous les officiers civils et militaires dans tout l’Empire français d’outre-mer qui sont prêts à coopérer avec nous. »[19]

     Au-delà du ton comminatoire de ce message, sont définis les enjeux de la légalité supposée du nouveau régime et par ce biais la validité de l’action du Gouverneur. De même, que les administrateurs coloniaux français puissent dépendre de la mansuétude britannique peut être considéré par Pierre Aubert comme une situation intolérable. Ce dernier ayant reçu l’ordre de ne prendre aucune décision précipitée, il se contente d’être évasif dans sa réponse et se pare d’une douce attitude diplomatique. Maurice Gaud entreprend alors de diffuser sur les ondes cette injonction britannique et de mettre ainsi l’opinion publique au fait des tractations entreprises. Ce choix est perçu comme une ingérence abusive puisque Pierre Aubert considère que « certaines affaires qui touchent au Gouvernement ne se traitent pas sur la place publique. »[20]. Ayant le souci de protéger ses prérogatives, il entend alors restaurer son pouvoir et annihiler les oppositions qui se font jour sur la scène publique. Les ardeurs patriotiques jusqu’alors exprimées doivent désormais s’inscrire dans « une obéissance disciplinée au chef responsable par un labeur silencieux et soutenu, par la plus grande réserve dans les propos. »[21]. Il estime alors nécessaire de convoquer la Commission Consultative de la Défense le 29 juin où il expose les enjeux liés au maintien de la légalité politique et les interrogations suscitées par la demande britannique.

Les raisons d’un positionnement

     Lors de cette réunion, il annonce qu’en se positionnant en dehors de la légalité politique cela entraînerait la nomination d’un nouveau Chef pour la colonie que la Métropole imposerait unilatéralement. Surtout, en supposant une quelconque rebellion, il craint que cela n’entraîne des représailles à la fois de la part du Gouvernement métropolitain mais aussi des autorités militaires allemandes. Il apparaît donc que l’intérêt de La Réunion ne soit pas de « se ranger en enfant perdu aux côtés de l’Angleterre. »[22] Surtout, Pierre Aubert rappelle que « la Réunion occupe sur la carte du monde une place infiniment modeste qui lui impose de jouer le rôle de satellite de la Grande île malgache. »[23] Or, cette dernière ayant fait acte d’allégeance en faveur de Vichy, La Réunion ne dispose d’aucune latitude pour entreprendre une action isolée. Enfin, Pierre Aubert se targue de défendre une certaine éthique professionnelle et n’entend pas quitter son poste dans la honte puis récuse l’idée de devenir un « mercenaire susceptible de passer aux gages d’une autre puissance. »[24] Selon ses propres termes, ses trente-deux années de loyaux services lui donnent l’intime conviction qu’il ne peut se délier du serment de fidélité à son pays. Fort de cette argumentation, il soumet ensuite à la sagacité des membres de la Commission Consultative de la Défense la question suivante :

« Le Gouvernement de La Réunion doit-il sortir de la légalité, au mépris des ordres du pouvoir central, à la disposition du Gouvernement britannique ? »[25]

Les différents membres sont invités à s’exprimer à tour de rôle et récusent la formulation abrupte proposée par le Gouverneur. En dépit des doutes sur la légalité du gouvernement de Bordeaux et sur son véritable poids politique dans une France au trois quart occupée, la foi en la victoire et l’espoir suscité par l’aide britannique transpirent dans l’ensemble des interventions. Le Président du Conseil Général, Raoul Nativel, exprime ainsi ses doutes sur les enjeux stratégiques d’une telle perspective :

« La question qui se pose, à mon avis, n’est pas de savoir si l’île de la Réunion doit se mettre en rébellion contre le Gouvernement français. Cette question ne peut pas, en l’état de nos informations, être posée. Elle le pourrait si l’Administration, le pouvoir élu de ce pays, avaient la certitude que le Gouvernement de Bordeaux est un Gouvernement libre. »[26]

Ce postulat étant établi, il reprend ensuite son argumentation en offrant des perspectives plus globales sur les conditions du conflit :

« Nous, Empire, intact à tous points de vue, partie intégrante de l’Empire français, rien de nous autorise (…) à tenir pour un fait définitivement acquis, la défaite de la France métropolitaine, qui est la seule broyée. »[27]

C’est ainsi que la France impériale, partie intégrante de la plus grande France n’est pas sous la botte allemande et dispose des moyens nécessaires pour continuer le conflit. Or seule l’Angleterre est à même de pouvoir soutenir l’effort souhaité par les territoires de l’Empire. Selon ses propres termes, il ne s’agit aucunement de s’inféoder à un pays étranger et « de tourner le dos à la France ? »[28] Si les autres membres de la Commission sont plus timorés dans leurs interventions, ils s’inscrivent néanmoins dans la même logique. C’est ainsi que le président de la Commission coloniale, M. Lagourgue, estime le maintien des alliances comme une question d’honneur :

« Aujourd’hui, parce que la France est envahie, nous tournons le dos à nos alliés, et donnons à nos ennemis, nos armes, nos camions, nos avions, nos tanks ; et cela, pour aider à combattre une amie avec laquelle nous marchions la main dans la main. Dans ces conditions, je trouve que la proposition faite par l’Angeleterre est magnanime. »[29]

     Peu à peu, le Gouverneur reçoit pourtant le soutien de certains membres de la Commission et impose une ligne de conduite légaliste qui ne souffre aucune critique. Les membres sont ainsi rappelés à l’ordre et les menaces à peine voilées les confrontent aux incertitudes de leurs devoirs administratifs. La ligne politique est clairement établie et nul ne doute d’un ralliement in fine à Vichy. Somme toute, c’est sans aucun doute le docteur Raymond Vergès qui résume le mieux la situation en distinguant les devoirs propres aux fonctionnaires et ceux qui s’attachent à la personne humaine. En qualité de fonctionnaire, le soutien au Gouverneur semble s’imposer à l’instar d’une pesanteur déontologique coloniale. Néanmoins, en tant qu’homme, il lui est pénible de voir « la France foulée aux pieds » et préconise une continuation de la lutte « aux côtés de n’importe qui pour le salut de la France. »[30] Chimère désormais dépassée dans le cadre d’une administration coloniale de plus en plus coercitive. Les discours de Pierre Aubert délimiteront ainsi progressivement un champ politique sous haute surveillance dont le seul principe est « de faire respecter l’ordre et la tranquilité publique »[31].

     Le Gouverneur est d’autant plus conforté dans son action que les pouvoirs et les prérogatives du nouveau Chef de l’Etat français sont officialisés dans la Colonie le 22 juillet. Il se fait fort également de rappeler que les deux députés réunionnais Lucien Gasparin et Auguste Brunet ont voté sans scrupules et sans consultation de leur électorat les pleins pouvoirs à Pétain. Une symbiose est dorénavant établie entre les représentants du peuple et ceux de l’Etat. La Réunion s’enlise alors dans une sourde complaisance envers le nouveau régime et les quelques velléités belliqueuses exprimées lors de la signature de l’armistice se dispersent dans les cénacles clandestins. Toute la force politique de Pierre Aubert est d’avoir su tempérer les ardeurs patriotiques en reconnaissant leur légitimité tout en clamant leur caducité. Jamais le sentiment d’appartenance nationale ne fut aussi éloigné de son principe de représentation.

     Les premières mesures remettant en cause les fondements démocratiques ne font qu’entériner par la suite le principe autoritaire ainsi défini. Dès octobre 1940, Pierre Aubert entreprend une réforme des institutions locales. Le Conseil général est dorénavant dissout et remplacé par une Commission administrative restreinte. De même, les maires ainsi que les conseillers municipaux sont soumis à l’approbation des autorités de Vichy. Le Conseil privé est épuré de ses membres anglophiles et secondé d’un Conseil économique consultatif favorable au nouveau régime. Dans ce nouveau cadre la représentation politique de l’île se trouve amoindrie. En sonnant le glas de la République, le régime de Vichy a en quelque sorte « recolonisé » ses anciennes possessions et remis en cause le processus historique d’émancipation des sociétés coloniales. Cette perspective est perçue a posteriori, non sans cynisme par le Gouverneur : « Le crédit sympathique rencontré par les initiatives du gouvernement central (…) marque assez la fragilité et le caractère artificiel de l’ancienne organisation, dans un pays, où une administration tutélaire doit guider, surveiller, protéger une population où les éléments évolués sont en minorité. »[32]   

Ces propos témoignent d’un profond mépris envers le processus d’assimilation qu’il considère comme inadapté au contexte réunionnais puisque les élections n’ont jamais entériné « une représentation réelle des différents éléments de la population. »[33] Pour distingués que soient la plupart des mandataires réunionnais, il pense qu’ils ne représentent guère qu’eux-mêmes ou bien les intérêts particuliers dont ils restent les porte-parole.Cette scission« entre le pays réel et sa représentation élue »[34]expliquerait l’impopularité du régime défunt et l’espoir suscité par la Révolution nationale.

Au-delà des considérations politiques qui expliquent la prise de position en faveur de Vichy, on peut admettre une concordance de principes idéologiques entre les administrateurs coloniaux et les idéaux défendus par le nouveau régime. Le zèle déployé pour mettre en place les principes de la Révolution nationale en constitue certainement la meilleure preuve. L’idée que la France puisse être sauvée par son Empire ne fait que renforcer le sens du devoir des autorités coloniales désormais investies d’une mission salvatrice. Pourtant, cette dernière ne peut s’extraire des réalités sociales et des mentalités qui la sous-tendent. Comment mobiliser les masses sans prendre en compte leurs attentes et leurs craintes, qu’elles soient réelles ou imaginaires ? Cette condition est d’autant plus nécessaire que la réalité de la Révolution nationale s’inscrit dans un microcosme ayant ses propres modalités d’interprétation.  

De la torpeur coloniale à l’exaltation impériale

une opinion en proie aux doutes

     Malgré une indéniable popularité des cérémonies orchestrées par le nouveau régime, les interrogations demeurent quant à la sincérité de l’élan populaire mis en exergue par la propagande. S’agit-il d’une volonté des apparatchiks du Gouvernorat pro-vichyste et de leurs séides ou de la véritable marque d’un engouement général ? Le danger serait de fondre en un même substrat la réalité de la propagande « aubertiste » et une quelconque opinion réunionnaise dont on suppose qu’elle ne serait que le reflet de sentiments plus profonds. La réaction des subalternes fait cruellement défaut dans ce domaine.

     Soucieuse de contrôler les possibles oppositions, l’administration coloniale établit alors un contrôle presque systématique sur le service postal dès la signature de l’armistice. Le moral de la population fait l’objet d’une attention particulière que les services de la propagande s’empressent d’analyser afin de peaufiner leur rhétorique. Tant que la censure n’est pas perçue comme telle au sein de la société, la liberté d’expression est manifeste. Cette situation n’a cependant de réalité que jusqu’au mois d’août 1940, période à partir de laquelle le nombre de courriers tend à diminuer tout autant que la sincérité des écrits. L’opinion est jugée très instable, « désemparée »[35] et « le chaos moral s’est accentué. »[36] Le désarroi moral, « né de l’ignorance du passé et de l’incertitude de l’avenir, paraissent avoir anesthésié les gens. »[37] Malgré cette « torpeurcoloniale », trois tendances principales sont mises en évidence par les services de la censure : « La première milite en faveur du Gouvernement du Maréchal Pétain et pour la continuation de la guerre par les Colonies. La seconde se rallie autour du Général de Gaulle et la troisième est pour l’alliance franco-anglaise. La majorité de la population, en raison de ses attaches familiales avec les Mauriciens (…) semble appuyer cette dernière tendance. »[38]

     Les bravades belliqueuses restent nombreuses dans les premiers courriers ouverts et le soutien à l’Angleterre est une constante dans les premiers mois du régime « aubertiste ». Les Mauriciens de l’île témoignent ainsi beaucoup de sympathie pour la France, mais, chose très blessante pour l’amour propre national, la considèrent comme ayant besoin d’un tuteur. Leur ardeur est cependant vite calmée et rapidement ils « évitent de parler des relations de la France avec son ex alliée. »[39]Les liens familiaux et les intérêts économiques entrent, pour une large part, dans cette idée de rapprochement. Cet état d’esprit est confirmé par Mgr Cléret de Langavant dans son journal : « Ici à la Réunion, il y a cependant un fort parti d’opposition qui regrette qu’on ne soit pas livré à l’Angleterre. Ce que l’on voit surtout c’est que la France ne pourra sans doute pas nous acheter nos sucres ni assurer notre ravitaillement. L’Angleterre ayant la suprématie navale pourrait nous ravitailler et en même temps prendre notre sucre. »[40] 

Il est vrai que le clergé réunionnais soutient le Gouverneur dans sa politique de fidélité au Maréchal, l’Evêque n’hésitant pas à parler d’unanimité. Dans le même temps, le soutien aux gaullistes est-il une réalité durant ces premiers mois de l’installation du nouveau régime ? Plus largement concerné par les élites, ce soutien suppose une connaissance plus précise des rares informations émanant de médias proposant une alternative. Il n’est donc pas exceptionnel de rencontrer certaines agitations au sein même des administrateurs en place ou par le biais des notables de chaque commune. Certains poussent leur engagement jusqu’à dénoncer la politique menée par le Gouverneur Aubert en écrivant directement à ses services. Tel est le cas de cet ancien fonctionnaire, Roger Guichard, condamné à trois mois d’emprisonnement en octobre 1940 pour ses propos antigouvernementaux. Ce dernier avait envoyé une lettre dans laquelle il dénonçait l’autoritarisme factice de Pierre Aubert car ce dernier ne pouvait « obtenir que l’obéissance du forçat à sa chaîne. »[41] Il proférait ensuite des menaces à peine voilées en lui rappelant que « nous sommes plus forts que vous, car ici nous sommes les Maîtres ».[42] Ces velléités belliqueuses et le soutien aux Forces Françaises Libres ne cessent d’inquiéter les services de la censure qui rappellent que « l’action du Général de Gaulle est unanimement approuvée, on la considère comme la seule porte de sortie de la situation actuelle. »[43] Certains courriers entrevoient même une collusion entre Pétain et de Gaulle afin de sauver la France. Cette adhésion de principe ne signifie aucunement une quelconque structuration d’un mouvement gaulliste sur l’île. Il faut attendre l’année 1941 pour que ce mouvement recrute des partisans et organise des actions clandestines.

     La diffusion de plus en plus massive des informations reçues de Vichy sur la vie de l’Empire contribue nettement à renverser l’opinion. Les communications radiodiffusées par le poste Radio-Saint-Denis sont dans le même but largement utilisées. D’autre part l’attaque de la flotte française à Mers el-Kébir et la tentative de débarquement à Dakar réactivent les sentiments anglophobes d’une frange de l’opinion réunionnaise. La lecture des lettres confirme l’évolution des esprits, très favorables à la personne du Maréchal, « avec qui chaque jour davantage, se confond la Patrie. »[44]Désormais, les prises de position en faveur de Pétain deviennent légion.

La confiance exprimée envers le Maréchal ne s’inscrit que rarement dans les idéaux de la Révolution nationale ou dans le respect des principes de la collaboration. C’est le sauveur de la France qui est mis à l’honneur. Le sort des Réunionnais est entre les mains de « l’honorablevieillard » qui est à même de faire comprendre « combien l’Angleterre a fait plus de mal à la France que son ennemi l’Allemagne. »[45] Rares sont les échos d’une réelle communion de pensée avec l’occupant que les autorités se font un devoir d’étouffer avec célérité et sévérité. Tel est le cas du bravache Arsène Roufli en juillet 1940 qui n’hésite pas à exhiber une croix gammée. Cette manifestation isolée et la réaction subséquente des autorités illustrent l’attachement de l’administration « aubertiste » à un Maréchalisme de circonstance plutôt qu’à un Pétainisme d’ordre idéologique.

     In fine, même si le loyalisme peut apparaître comme une forme de fanatisme[46], propre à étayer la thèse d’un « décervelage »[47] de la part de l’administration coloniale ; d’autres principes ont certainement guidé le ralliement à Vichy. Selon les hypothèses énoncées par Henry Rousso, des facteurs convergents entre la Métropole et les colonies peuvent être mis en parallèle. Certes la popularité de Pétain ne fait aucun doute et débouche sur une dévotion d’autant mieux imprégnée qu’elle s’inscrit dans un cadre patriotique exacerbé autour du héros de Verdun. Le soutien de la hiérarchie catholique a certainement été favorable également à l’acceptation du nouveau régime. Mgr Cléret de Langavant a pu trouver dans les principes traditionalistes défendus par le nouveau régime une certaine communion de pensée. Pourtant, la crainte d’une ingérence du Gouverneur dans les affaires du diocèse et un jugement peu élogieux sur sa personne dans son journal laissent penser à un jeu de dupe plutôt qu’à une véritable communion sur les principes.

Le soutien de la plus grande partie de l’administration est de fait acquis dès la signature de l’armistice. On ne peut cependant y voir une adhésion idéologique mais plus simplement une passivité à l’origine selon Pierre Aubert d’une somnolence administrative. Même s’il reconnaît que « les fonctionnaires coloniaux et municipaux font généralement preuve d’une louable activité. Il est cependant à regretter que la majorité soit installée dans une vie quiète et casanière, (…) une vie amollissante de retraités provinciaux. »[48] De même, l’inertie des populations, engluées dans les difficultés du ravitaillement, reste une constante au cours de cette période. Le manque d’informations et la maîtrise difficile des véritables enjeux d’une telle affiliation devaient certainement échapper au plus grand nombre. Certes, « on trouve les traces d’une sincère compassion et de compréhension à l’encontre des français de la Métropole »[49] mais « la guerre apparaît lointaine. »[50] C’est ce que constatent les services de la censure en soulignant que la population ne commente pas les mesures prises par le Gouvernorat. La population se contente d’obéir, « la majorité de bon cœur et la minorité de beaucoup plus faible, subissent les événements avec une ferveur anémiée. »[51]Les rares propos outrageants à l’égard du Chef de l’Etat et des autorités locales sont surtout liés aux difficiles conditions économiques. Ils ne dépassent guère la sphère parfois houleuse des boutiques et des bars mais constituent une menace jugée suffisamment sérieuse pour aboutir à des condamnations. De même, l’absence d’alternative politique crédible a certainement été favorable à l’installation du régime « aubertiste ». L’allégeance au positionnement politique de Madagascar illustre cette argumentation avec d’autant plus d’acuité que les forces militaires à la disposition de Pierre Aubert ne permettaient pas d’assurer de façon autonome la défense de l’île.De la même manière, l’espoir de revaloriser l’action de l’Etat après une période considérée comme instable a pu influer sur l’adhésion de certains. Après les tensions issues de la période du Front populaire, certains notables ont pu voir en Vichy une opportunité pour contrecarrer les projets du camp progressiste réunionnais et régler leurs comptes avec une République jugée trop instable et peut-être trop sociale : « La République est morte. Un bel enterrement et n’y pensons plus… la France renaîtra. »[52]

Enfin, nous pouvons émettre l’hypothèse d’une filiation par une volonté accrue de reconnaissance de la part de la Métropole. Le mythe colonial de Vichy est ainsi à l’origine d’une rhétorique où « le maintien de la France éternelle et l’illusion de la puissance malgré la défaite »[53] ne pouvaient provenir que de l’Empire. En mettant en exergue la fierté créole et le poids politique de l’Empire, La Réunion a pu « trouver dans le malheur de la Patrie l’occasion magnifique de resserrer autour d’elle, d’affirmer entre elles et avec la Métropole un renouveau de solidarité impériale. »[54] Cette union retrouvée avec la mère Patrie permet selon cette logique d’atténuer « le régionalisme réunionnais, par trop accusé dans les temps passés et consistant à raisonner uniquement en créole » pour céder « le pas à l’idée de la France d’abord.»[55]

Les cérémonies exaltant l’Empire

     Toute la force d’un discours de propagande se résume dans sa mise en scène. Les services coloniaux en comprennent d’autant mieux les enjeux qu’ils se doivent de raffermir la confiance envers un régime en proie aux doutes et aux contestations. Initiées par le Ministère des colonies, les célébrations d’une « Semaine impériale » en 1941 puis d’une « Quinzaine impériale » l’année suivante permettent aux différents territoires de l’Empire d’apporter leur contribution au principe de la régénération nationale. La célébration des colonies et la reconnaissance de leurs forces vives impulsent une nouvelle dynamique dont le moteur alimente l’idée d’un relèvement grâce à l’Empire. Ce dernier devient ainsi un « mytheconsolateur »[56] assurant le maintien d’une France éternelle malgré les désillusions engendrées par la défaite.

De toutes les cérémonies et festivités organisées par le Gouvernorat de Pierre Aubert, la « Semaine impériale » du 15 au 21 juillet 1941 est sans nul doute la plus aboutie. Elle doit amorcer dans l’esprit du Gouverneur l’aube d’un relèvement[57]. Cette projection vers l’avenir n’a pour but que de rappeler la communion de pensée et de destin unissant la colonie avec sa métropole. Les discours insistent ainsi sur les enjeux historiques et politiques d’une telle reconnaissance des valeurs et des vertus de l’Empire. Rappelant la fidélité ancestrale à la Patrie et les mérites de son nouveau guide, les logiques discursives s’inscrivent également dans une valorisation des caractères spécifiques de la colonie. Leurs auteurs sont issus des plus hautes instances coloniales et sont censés représenter une caution morale sans faille. Que ce soit Mgr Cléret de Langavant, Raoul Nativel, Hyppolyte Foucque, Raymond Vergès ou certains enseignants du lycée de Saint-Denis, ces derniers développent une rhétorique d’exaltation des forces réunionnaises.

     La tonalité est donnée par le Gouverneur lors de l’inauguration des festivités. Il rappelle que trois siècles d’histoire ont dicté à La Réunion, « fille lointaine mais aimante »[58] son devoir envers la mère Patrie. Malgré la souffrance de la défaite et les difficultés rencontrées au cours de cette « annéecruelle », les liens ne se sont jamais distendus. L’île Bourbon « n’a jamais douté de son destin » et envoie son « affectueux salut à la France immortelle. »[59] La fidélité de destin et la ferveur patriotique constituent le socle d’une argumentation moralisatrice. Les festivités s’articulent autour de la radiodiffusion des discours les plus marquants, de l’organisation de cérémonies commémoratives, de la collecte de fonds et de l’inauguration sur le terre-plein du Barachois de l’Esplanade du Maréchal Pétain suivie de la prestation de serment des membres de la Légion Française des Combattants.

Les discours radiodiffusés ont une portée pédagogique et relatent les grandes figures d’une histoire coloniale édifiante portant à la vertu par l’exemple. Les arguments se sont accordés pour ressusciter au micro les pionniers de l’œuvre civilisatrice de la France. Les panégyriques énoncés sur Ferry, Montcalm, Dupleix, Bugeaud, Savorgnan de Brazza ou Marchand ne font que refléter le poids de la culture impériale dans l’imaginaire collectif. Cette logique est partagée par l’ensemble des notables conviés aux festivités. C’est ainsi que Raymond Vergès est invité à s’exprimer sur l’œuvre coloniale de la France. Il évoque, en qualité de Chef de la santé, les bienfaits de la colonisation dans le domaine médical et rappelle incessamment les    « vertus de notre race et son rôle dans le monde. »[60] Les Réunionnais ont ainsi pu s’enorgueillir d’une « histoire glorieuse »[61] démontrant la solidité des liens qui l’unissent à la mère Patrie. Les propos tenus par les chroniqueurs insistent sur les attentes impériales du nouveau régime. Si les Réunionnais doivent rester « fiers et forts dans l’épreuve », ils doivent également mettre en avant leurs qualités pour donner l’exemple à la Patrie meurtrie. Certes l’âme créole« conserve en même temps que ces caractères ancestraux, sa tendance à discuter de tout. Mais sa contexture étant strictement à l’image de l’âme même de la France, l’heure est particulièrement favorable à l’affirmation d’une identité que je dirai substantielle et congénitale. »[62] L’affirmation d’une identité culturelle à la fois commune et différente est au cœur du concept de la « Plus Grande France », une nouvelle France impériale gardienne des valeurs de la Nation. Plus qu’une articulation d’identités multiples, les discours mettent surtout en avant une communauté identitaire. Cette nouvelle France impériale est donc au cœur de la constitution et de la redéfinition d’un nouveau principe national où les devoirs n’en deviennent que plus nobles.

Comme le rappelle le Secrétaire général, cet « amour fervent de la Réunion pour la France »[63] trouve ainsi son expression concrète dans la contribution des populations aux œuvres du Secours National. C’est, selon son argumentation, le « plus réconfortant témoignage de solidarité de la population réunionnaise, un gage plus sûr des liens indéfectibles qui l’unissent à la Grande patrie. »[64]  Cette générosité trouve son origine dans la grandeur d’âme créole et dans son ardent désir de témoigner son esprit patriotique. Elle va à l’encontre de ceux qui « doutent encore du destin français » et essayent de faire basculer l’île dans le camp de la France Libre, de l’Angleterre, « des Juifs, des Francs-maçons et des communistes [qui achèvent] rapidement la désagrégation totale de la Nation française»[65]

Afin de guider l’action des Réunionnais dans cette œuvre de régénérescence, « d’unir tous les Français pour ne faire qu’un bloc », le soutien sans concession au gouvernement de Vichy semble de mise. Selon l’évêque du diocèse, cette impérieuse nécessité est guidée par la volonté divine et dans le credo des trois vertus théologales que sont la Foi, l’Espérance et la Charité. « La foi en la France et en son chef. Ce sera de croire en elle, en sa puissance de vie nouvelle, en sa résurrection comme nation libre, indépendante de toute autre. L’espérance est basée sur la foi, elle en est la conséquence immédiate. Si nous avons foi, si nous croyons à la France, nous attendrons avec confiance son relèvement. Charité enfin, car seule la charité est capable de faire grand et durable. »[66]

     Le redressement de la Patrie sera donc la résultante des efforts de chacun et de l’union des forces vives de la Nation. Fort du succès de cette manifestation le gouvernorat décide de renouveler l’expérience l’année suivante du 15 au 31 mai 1942. Les enjeux sont d’autant plus grands que La Réunion fête alors le tricentenaire de sa destinée française. Les festivités nécessitent donc un éclat digne de la commémoration. Un comité est ainsi constitué dans le but d’organiser des manifestations littéraires et des reconstitutions historiques. Le tout est relayé par un comité de propagande dont les trois directeurs des journaux Chantecler, Le Peuple et Le Progrès sont invités à participer sous le contrôle du chef de Cabinet. Afin de vivifier les manifestations, un comité de participation se structure également autour de la Légion Française des Combattants et des Volontaires de la Révolution nationale.

La propagande établit rapidement son plan d’attaque en diffusant sur les ondes des slogans mobilisateurs, des chroniques historiques à caractère régional et des œuvres poétiques célébrant l’Empire. Afin de donner une caution scientifique à cette remémoration d’une identité nationale partagée, les organisateurs invitent des historiens de renom comme Albert Lougnon pour entériner le principe de l’implantation initiale d’une souche française sur l’île. Cette matrice nationale commune explique que les créoles ont conservé « leur âme française que l’éloignement n’a jamais séparé de la grande Patrie. »[67] Les premiers descendants de Bourbon ont apporté avec eux « les caractères distinctifs de notre race » qu’ils ont su conserver intacts. Cette préservation des attributs historiques de la Nation explique que « sur la souche vivace et forte des premiers colons, le rameau créole pousse dru, vigoureux, solide, nourri de la sève marine et paysanne du vieux pays. »[68] On y retrouve, « avec des archaïsmes touchants et les transpositions de la vie des tropiques, le ”climat” provincial d’une France toujours proche et lointaine. »[69] Ce retour sur le passé glorieux de l’île s’inscrit dans un régime d’historicité spécifique propre aux acteurs de cette période. Las d’attendre les avancées politiques et sociales inhérentes au processus d’assimilation, une frange de la population a pu se laisser bercer par une certaine nostalgie mémorielle. Ces sentiments trouvent notamment leurs origines dans la valorisation patrimoniale initiée depuis la fin de la Grande Guerre. Plus instantanément, le contexte stratégique de l’année 1942 explique le redoublement des efforts afin de mobiliser l’opinion. En effet depuis le mois de mai les Britanniques entreprennent des opérations militaires sur Madagascar. La sécurité de l’île est désormais menacée et« cette quinzaine impériale s’ouvre hélas dans le deuil des héroïques défenseurs de Diégo, dans l’angoisse des invasions possibles. »[70] Le Tricentenaire se transforme alors en un cri d’amour pour la France qui s’incarne dans le rappel de « tout un passé de gloire et d’héroïsme. »[71] La menace britannique permet la remémoration « de toutes les guerres où les nôtres sont tombés sous les balles anglaises. » Le souvenir de 1810 où « ces pères hardis prirent leurs fusils » incarne cette volonté de « se grouper et mourir plutôt que d’être anglais. »[72]

     Au-delà des idées propagées par les autorités coloniales qui correspondent à une adhésion de principe sur le sens du devoir par le prisme colonial, il convient de s’interroger sur les modalités d’application d’une régénération impériale et sur les moyens déployés par les services de la propagande.

La régénération nationale par l’Empire

propagande…

     Les objectifs explicites de la propagande se comprennent selon une double acceptation chronologique. Il s’agit à la fois de donner une perspective aux Réunionnais pour un avenir considéré comme incertain mais également de faire le procès du passé afin de s’inscrire dans une optique régénératrice.

Initiée et organisée depuis la Métropole grâce au Haut-Commissariat à la Propagande puis au secrétariat général à l’Information, elle s’est de suite appliquée à La Réunion. Cependant, l’éloignement de l’île par rapport au pouvoir central laisse supposer que l’éclat accordé aux cérémonies et la force des discours ne pouvaient dépendre que de la volonté des responsables coloniaux alors en poste. Le poids des mots dépend effectivement de celui qui les énonce et de leur mise en scène. Dans ce domaine, le rôle joué par Jean-Jacques Pillet a été primordial puisqu’il disposait des leviers nécessaires à leur organisation et leur contrôle. Les aléas de sa carrière expliquent en partie le zèle déployé à son poste de chef de Cabinet. Promu en décembre 1938 sous l’égide du gouverneur Joseph Court, il s’inscrit pleinement dans les réformes engagées et prend peu à peu de l’assurance dans ces fonctions. Il supplée régulièrement Pierre Aubert lorsque ce dernier est absent, élargissant ainsi ses fonctions aux différentes instances de la censure tel que le bureau de la Presse-Information et Propagande. Par ce biais, il contrôle la publication de nombreuses brochures et participe à la rédaction de certains articles dans le journal Chanteclerc. Souhaitant former un corps de propagandistes dévoués, il élargit ensuite ses compétences à la Garde du Maréchal et au Comité de Propagande Pétain. Comprenant que le problème n’est pas tant d’être convaincu que d’user des armes de la persuasion à des fins politiques, il a su propager des fantasmes divers dont la répétition des termes a pu ancrer dans les esprits une subjectivité inconsciente. C’est en ce sens que la propagande repose sur un état d’esprit apte à la recevoir mais aussi à la propager. Considérée comme une « arme de choix »[73], elle s’appuie sur le moral de la population qu’elle essaye tout à la fois de sauvegarder et de manipuler. Elle ne peut donc être efficace que dans le cadre d’une popularité supposée du nouveau régime.

L’environnement réunionnais constitue à cet effet un terreau certainement propice. En effet, pour être crédible et persuasive, la propagande se doit de proposer « un dialogue politique ordonné autour d’un ensemble de conventions ou de préjugés »[74] capables d’influencer et de manipuler. Or, le contexte met en lumière l’adéquation entre certaines valeurs de la Révolution nationale et les principes organisationnels de la société coloniale. L’importance accordée à la famille dans le cadre d’une démographie galopante laisse entrevoir une acceptation du principe de hiérarchisation naturelle d’une société plus proche de la terre où la difficile application des valeurs démocratiques atténue le principe de l’individualisme. Il est ainsi plus facile d’enseigner la devise « travail, famille, patrie » que « liberté, égalité, fraternité » en milieu colonial[75]. Autant de conventions et de préjugés partagés avec les idéologues de Vichy et leurs partisans coloniaux.

Les moyens de communication utilisés par les services de la propagande témoignent d’un contrôle total du champ médiatique. Si les expositions et les conférences ont pour but de convaincre les élites ; la force persuasive du cinéma, de la radiophonie et de la presse concerne un public plus large. Cette dernière, fortement contrôlée, s’appuie sur des publications parfois anciennes et idéologiquement contrastées. Certes, Le Peuple et Le Progrès ne montrent que très rarement de la sympathie pour la Révolution nationale et le régime de Vichy mais participent à la fondation d’un imaginaire collectif en relayant les informations officielles. L’absence de positionnement politique devait sans doute laisser le lecteur dubitatif quant au bien-fondé des informations présentées. Tel n’est pas le cas de La Démocratie de Raphaël Babet qui encense le régime en place, du journal Servir de René Payet qui sert de relai aux idéaux de l’Action Française, de La Vie Catholique et du bihebdomadaire Dieu et Patrie qui ne sont que les porte-paroles de la ligne politique traditionaliste suivie par Mgr Cléret de Langavant. Accentuant leurs efforts de propagande, les autorités coloniales décident également de lancer dès novembre 1940 le journal Chantecler.Cet hebdomadaire du pouvoir « aubertiste » est certes administré par l’ingénieur Eugène Poisson mais dépend in fine de la ligne éditoriale définie par Jean-Jacques Pillet et de quelques rédacteurs influents comme le conseiller à la Cour d’Appel Eugène Thébault ou le secrétaire général Rivière.

Prenant conscience de la force communicative des nouveaux médias, les autorités tentent dans le même temps d’initier une dynamique cinématographique. Les propagandistes croient au pouvoir des images et diffusent des films vantant tout à la fois les mérites de l’Empire et de la Révolution nationale. Provenant des services de la propagande de Madagascar, ils mettent surtout en scène les bains de foule du Maréchal, les principes d’une régénération nationale (La France en marche) ou les événements tragiques concernant l’Empire (Mers el-Kébir, Dakar). Ces films sont projetés dans les différentes communes de l’île et mobilisent de nombreux spectateurs. Ces projections sont l’occasion d’une mise en scène spécifique où les édiles locaux se doivent d’être présents en signe d’allégeance.

     La censure est mise en place progressivement tout en s’appuyant sur les mesures prises lors de l’entrée en guerre. Ces dernières stipulent que « désormais, tous les imprimés, dessins, ou écrits de toute nature, ainsi que les émissions radiophoniques et les projections cinématographiques, non soumis au contrôle préventif du service général des informations sont interdits. »[76] Les modalités d’application deviennent de plus en plus draconiennes avant de s’inscrire dans une logique proprement vichyssoise à partir de 1941. La création du bureau Presse-Information et Propagande, puis la promulgation le 22 septembre d’un nouvel arrêté stipulant que « la publication des journaux, ouvrages, imprimés, dessins ou écrits de toute nature est subordonnée au visa préalable du Chef de Bureau »[77]. Afin de prévenir la divulgation des « informations militaires de toute nature, de toute nouvelle, information, écrit, dessin, imprimé susceptible d’avoir une influence fâcheuse sur l’esprit de l’armée et de la population »[78], le contrôle de la Presse devient ainsi total.

             D’autre part, le contrôle des diffusions radiophoniques est renforcé aux vues de l’impact qu’elle génère sur le public. Seules sont autorisées les émissions produites par Radio Saint-Denis étroitement contrôlées par Jean-Jacques Pillet. De même, ce dernier se prémunit de toutes diffusions d’ordre privé « que le haut-parleur ou diffuseur du poste soit situé ou non sur la voie publique. »[79] Rares sont les municipalités habilitées à diffuser sur haut-parleur les animations musicales et les bulletins de presse de la radio dionysienne. N’ayant qu’une diffusion limitée à deux créneaux quotidiens, les autorités craignent une écoute des émissions de la France Libre (Radio Brazzaville) et de leurs alliés anglais (Radio Maurice). C’est pourquoi le 3 octobre 1941, un autre arrêté limite encore plus les possibilités d’écoute en prohibant la réception ou l’audition des postes britanniques ou étrangers qui se livrent à de la propagande antinationale. Les thèmes propagés par Radio Saint-Denis présentent de nombreux traits communs avec ceux développés par la propagande métropolitaine. Idéologie de combat, les thèmes les plus récurrents concernent les ennemis du nouveau régime.[80] A l’anglophobie traditionnelle qui permet d’exalter l’Empire français, s’ajoute de violentes attaques contre les partisans de la France Libre. Au fur et à mesure de l’évolution des rapports de force et des alliances consécutives, la liste des ennemis potentiels s’élargit aux Soviétiques et aux Américains. Dans l’esprit des auteurs, il s’agit principalement de lutter contre les internationales que constituent à leurs yeux le capitalisme et le communisme. Cependant, l’adhésion aux idéaux de la Révolution nationale et l’admiration sans voile à la personne du Maréchal Pétain constituent le ferment à la base de l’unité. En ce sens, la propagande sur l’île rejoint sur de nombreux aspects celle initiée par les lobbies coloniaux de Vichy. La singularité du combat des Réunionnais est cependant affirmée en filigrane tout au long des chroniques radiodiffusées.

     Les injonctions morales associées aux valeurs défendues par les élites réunionnaises constituent ainsi un formidable miroir des mentalités coloniales. En ce sens, la propagande est plutôt conformiste et repose sur des présuppositions sociologiques où le caractère émotionnel est déterminant. Plus qu’une propagande d’agitation reposant sur la différenciation puis la condamnation des ennemis définis par le régime, on décèle plutôt une volonté de conformation aux idéaux d’une Révolution nationale que l’on voudrait initiée par l’Empire.

… et embrigadement

     Cette condition politique étant établie, les autorités se sont empressées de créer des relais pour contrôler et influencer l’opinion. Dans leur esprit, l’endoctrinement des masses supposait de dépasser le simple cadre du discours pour s’inscrire dans une logique participative et d’encadrement de la société. Le recrutement de nombreux volontaires au sein de la Légion Française des Combattants, de la Garde du Maréchal ou du Comité de Propagande Pétain démontre tout à la fois la force coercitive du régime et l’adhésion idéologique d’une frange de la population.

     De prime abord, la transplantation à La Réunion d’une Légion Française des Combattants répond à une obligation légale puisque toutes les dispositions juridiques établies pour la Métropole s’appliquent en principe au reste de l’Empire. La Légion eut le rôle de vecteur et de garant de la Révolution nationale en qualité de corps emblématique des forces vives de la Nation. Elle n’est réellement structurée qu’en juillet 1941 avec la publication d’un organigramme spécifique. Les responsables sont principalement des propriétaires terriens (33%), des employés de mairie (18%) et des employés du secteur privé (10%). Certains membres du clergé (8%) y sont représentés ainsi que des pensionnés et des retraités (10%). La Légion bénéficie également du soutien de l’Association des anciens combattants de l’île qui décide de s’y associer lors des cérémonies du 11 novembre 1940.

     Les discours clament avec force l’héritage de la Grande Guerre et mettent en avant l’esprit patriotique des anciens combattants. Les légionnaires s’inclinent ainsi avec « ferveur et avec respect devant les camarades qui sont tombés pour la défense de la Patrie et l’honneur du Drapeau. »[81] Il s’agit de rester fidèle à la mémoire de ceux qui sont tombés au champ d’honneur, « c’est-à-dire à rester fidèles au drapeau dans les plis duquel ils ont été ensevelis. »[82] Désormais, « les rescapés de Verdun, égarés pendant vingt ans par de mauvais bergers, font solennellement le serment d’être derrière le Maréchal pour refaire une France grande, forte et digne de son passé. »[83] Les légionnaires se sentent investis d’une mission « indispensable au salut et à la Rénovation de la France. »[84] C’est un devoir civique que l’on compare à un « ordre de mobilisation ».

     C’est par un arrêté du gouverneur du 29 novembre 1941 que la Garde du Maréchal est instituée sous la responsabilité de Jean-Jacques Pillet. La formation de cette structure aurait été initiée par la venue du lieutenant Gresset sur l’île en octobre 1941. Ce dernier est un propagandiste de Vichy en poste à Madagascar qui fut directement diligenté par Gabriel Jeantet alors inspecteur de la Propagande. Ce faisceau d’activistes ne compte« en son sein que des membres sûrs de leur doctrine nationale»[85], dont les chefs de groupe sont issus pour une bonne part du scoutisme, du Lycée et des jeunesses des écoles chrétiennes. Leur mission est de « faire connaître et comprendre à la population et plus spécialement dans les milieux de jeunes l’œuvre du Maréchal ; faire aimer sa personne ; répandre les disciplines de la Révolution nationale. »[86] A terme, l’objectif est de convaincre des sympathisants et de les enrôler au sein de la Légion Française des Combattants et des Volontaires de la Révolution nationale. Les membres s’engagent à agir uniquement en Français dans une « France française, une France propre et forte, une France chrétienne. »[87] Ils doivent veiller à lutter contre les ennemis de la Révolution nationale que l’on encourage à dénoncer auprès des autorités. Les professions de foi exprimées dans les lettres de candidature dénotent un engagement idéologique sans faille et dressent un profil sociologique précis des adeptes de la Garde.

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     Cet esprit transcende les classes d’âge afin de mobiliser les plus jeunes membres qui regrettent de n’avoir pu s’engager dans le conflit et défendre le drapeau. Cette connotation guerrière vivifie un patriotisme belliqueux pourtant peu en phase avec la réalité impériale. L’analyse du profil des 63 membres enrôlés sur le chef-lieu dionysien montre que l’âge moyen est de 22 ans avec un écart type peu conséquent. Dans ce projet de régénération où doit émerger un homme nouveau, la jeunesse occupe ainsi une place essentielle[88]. La grande majorité des membres n’a donc pas connu la Grande Guerre mais a été bercée par son souvenir et son lot de commémorations. Le plus souvent diplômés, ils appartiennent surtout à la classe moyenne et travaillent pour un bon nombre d’entre eux dans les services de la Colonie. Le profil des parents révèle une forte proportion de fonctionnaires et notamment d’enseignants. Dans les autres communes de l’île, les membres sont légèrement plus jeunes, moins diplômés et de condition plus modeste. Fort de leur réseau de près de 400 membres, parmi lesquels sont inscrits les fils des notables les plus éminents, l’action de la Garde repose sur le travail de propagande entrepris par le Comité de Propagande Pétain sous les ordres du maire de Saint-Denis, Armand Barau. Ce Comité « est la pointe d’avant-garde du vaste mouvement de Révolution nationale dont la Légion Française forme l’assise puissante. »[89] L’arrêté définissant ses fonctions lui assure la responsabilité des thèmes développés par la propagande en partenariat avec Jean-Jacques Pillet. Cependant, en complément de l’action menée par ce dernier, la vocation du Comité est d’abord de diffuser les idéaux de la Révolution nationale par un travail incessant en partant de la base grâce à l’infiltration de propagandistes bénévoles.

     In fine, la propagande d’agitation peu décisive et celle plus active d’intégration ont donc combiné leurs efforts pour renforcer la légitimité du nouveau régime et bercer l’opinion dans l’illusion d’une régénération impériale. Profitant de la relative passivité des masses, les services du Gouverneur ont pu croire à un réel attachement de l’île aux idéaux ainsi défendus. Pourtant, qui ne dit mot ne consent pas forcément si l’on considère que le mutisme et le conformisme apparents sont des constantes de la condition politique coloniale. De même, la participation active de nombreux Réunionnais aux festivités publiques ou leur embrigadement au sein des différentes associations pro-vichystes ne signifient nullement une approbation sur les principes. Tout au plus s’agit-il d’un jeu de dupes ou d’un accommodement contraint pour une grande partie de la population en proie aux doutes et aux difficultés matérielles. On ne peut cependant occulter le zèle d’une minorité dont l’opportunisme devait se conjuguer à une réelle adhésion idéologique.  

     Conclusion :

     La rhétorique de la Révolution nationale s’inscrit de manière congruente dans une volonté de réforme impériale et de reconnaissance accrue des valeurs coloniales. L’adhésion d’une partie de la population aux idéaux d’une nouvelle France régénérée par son Empire repose sur un patriotisme traditionnel se nourrissant du « pays réel » et des éléments constitutifs de la société. On peut y voir le rejet d’un patriotisme révolutionnaire dont la finalité assimilatrice tarde à montrer les premiers signes tangibles. La vérité n’est donc pas dans les faits, qui n’en sont que la partie visible. Elle est dans la compréhension des raisons qui l’ont fait accepter par une partie de l’opinion réunionnaise. Le soutien à Vichy s’explique ainsi par les déceptions générées par le système républicain. De manière concomitante, les idéaux défendus par les administrateurs coloniaux sur l’île ont pu trouver des points de convergence sur cette critique de la politique assimilatrice. En effet, ces derniers ont accompli l’essentiel de leur carrière dans les territoires de l’Empire où le principe d’assimilation n’était qu’une chimère. Ils ont donc manifesté leurs frustrations par une adhésion pleine et entière à l’idéologie vichyssoise. Pourtant, l’intérêt de la Colonie était de préserver les acquis républicains qui faisaient de La Réunion un territoire relativement privilégié au sein du monde colonial français[90]. Cet écart entre le champ du discours et l’intérêt politique souligne la complexité de l’adhésion sociale aux normes défendues par les autorités politiques. On peut ainsi concevoir une autonomisation du discours qui remet en cause les schémas traditionnels d’explication sur les sociétés coloniales.  

Pierre-Eric FAGEOL

Université de La Réunion

 

 

 

 



[1] Archives départementales de La Réunion (ADR) 1M4003, Discours Pierre Aubert, 31 octobre 1940.

[2] Azéma Jean-Pierre et Bédarida François (éd.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, pp. 122-134.

[3] Blanchard Pascal et Ginio Ruth, « Révolution impériale : le mythe colonial de Vichy (1940-1944), in Blanchard Pascal, Lemaire Sandrine et Bancel Nicolas (éd.), Culture coloniale en France. De la Révolution française à nos jours, Paris, CNRS Ed., 2008, p. 376.

[4] Jennings Eric, « La politique coloniale de Vichy » in Cantier Jacques et Jennings Eric, L’empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 8.

[5] ADR 1M4003, Discours Pierre Aubert, 27 février 1940.

[6] Ibid.

[7] ADR 1M4003, Allocution radiodiffusée, 26 mai 1940.

[8] Ibid.

[9] Le Progrès, 27 mai 1940.

[10] Le Peuple, 28 mai 1940.

[11] Le Travail, 28 mai 1940.

[12] Né le 8 mars 1888, Pierre Aubert est issu de la petite bourgeoisie arrageoise. 

[13] Le Peuple, op. cit.

[14] ADR 1M4003, Discours Pierre Aubert, 24 juin 1940.

[15] Le Progrès, 25 juin 1940.

[16] ADR 1M4068, Télégramme au Gouverneur de Madagascar, non daté.

[17] Archives nationales de l’Outre-mer (ANOM) 1Affpol 1131, Rapport politique Pierre Aubert (1941).

[18] ANOM 1Affpol 796, Allocution radiodiffusée, 21 juin 1940.

[19] ANOM. 1Affpol 796, Message du Sous-Secrétaire d’Etat britannique, 23 juin 1940.

[20] ANOM 1Affpol 796, Allocution radiodiffusée, 25 juin 1940.

[21] ANOM 1Affpol 796, Allocution radiodiffusée, 24 juin 1940.

[22] ANOM 1Affpol 796, Rapport politique de Pierre Aubert (1940).

[23] Ibid.

[24] Ibid.

[25] Ibid.

[26] Ibid.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] Ibid.

[31] ADR 1M4003, Discours Pierre Aubert, 10 août 1940.

[32] Rapport politique Pierre Aubert (1941), op. cit.

[33] Ibid.

[34] Ibid.

[35] ADR 1M604, Rapport contrôle postal, juin 1940.

[36] ADR 1M604, Rapport contrôle postal, juillet 1940.

[37] Rapport contrôle postal, juin 1940, op. cit.

[38] Ibid.

[39] Ibid.

[40] Journal de Mgr Cléret de Langavant, Archives diocésaines de La Réunion (non côté).

[41] Rapport contrôle postal, juin 1940, op. cit.

[42] Ibid.

[43] Ibid.

[44] ADR 1M605, Rapport contrôle postal, février 1941.  

[45] ADR 1M605, Rapport contrôle postal, octobre 1941.

[46] Jennings Eric, op. cit.

[47] ANOM 1Affpol 1133, René Pleven à Henri Hoppenot, 30 juillet 1943.

[48] Rapport politique Pierre Aubert (1941), op. cit.

[49] ADR 1M605, Rapport du contrôle postal, juillet 1941.

[50] ADR 1M605, Rapport du contrôle postal, décembre 1940.

[51] ADR 1M605, Rapport du contrôle postal, mars 1941.

[52] ADR 1M605, Rapport R.G., août 1940.

[53] Blanchard Pascal et Ginio Ruth, op.cit.

[54] ADR 1M4003, Allocution Pierre Aubert, 19 novembre 1941.

[55] Rapport du contrôle postal, juillet 1941, op. cit.

[56] Blanchard Pascal et Ginio Ruth, op. cit, p. 370.

[57] « La Réunion vous parle. Semaine de la France d’outre-mer à l’île de la Réunion (15-21 juillet 1941) », Saint-Denis, 1941.

[58] Ibid.

[59] Ibid.

[60] Ibid.

[61] Discours Raoul Nativel, « La Réunion vous parle…», op. cit.

[62] Ibid.

[63] Avant-propos de Jean Rivière, « La Réunion vous parle…», op. cit.

[64] Ibid.

[65] Sermon de Mgr l’Evêque de Saint-Denis, 13 juillet, « La Réunion vous parle…», op. cit.

[66] Ibid.

[67] ADR 1M4045, Discours de Vincent Boyer de la Giroday.

[68] ADR 1M4045, Allocution Pierre Aubert à l’occasion de l’ouverture de la Quinzaine Impériale.

[69] Ibid.

[70] ADR 1M4045, Chantecler, 18 mai 1942.

[71] Ibid.

[72] Ibid.

[73] Azema Jean-Pierre et Wieviorka Olivier, Vichy, 1940-1944, Paris, Perrin, 1997, p. 110.

[74] Ginio Ruth, « La propagande impériale de Vichy », in Blanchard Pascal, Lemaire Sandrine et Bancel Nicolas (éd.), op. cit, p. 118.

[75] Ibid.

[76] ADR série 8K, JOR, Arrêté du 18/09/1939.

[77] Ibid.

[78] Ibid.

[79] Ibid.

[80] ANOM BIB AOM//43794, Entre nous… Bulletin de propagande du poste de radio de Saint-Denis 1940-1942, Editions du Bureau de la Presse-Information-Propagande Impr. Casal, 1942.

 

[81] ADR 1M4044, Allocution Roger Payet, 1er novembre 1941.

[82] Allocution Rieul-Dupuis, « La Réunion vous parle… », op. cit.

[83] Ibid.

[84] ADR 1M4045, Allocution Hyppolite Foucque, 31 mai 1941.

[85] ADR 1M4023, Directives de la Garde du Maréchal, 1942.

[86] Ibid.

[87] ADR 1M4023, Serment pour la Garde du Maréchal.

[88] Cantier Jacques, « Un enjeu essentiel. Vichy et les jeunes dans l’Empire français », in Cantier Jacques et Jennings, op. cit., pp. 91-115.

[89] ADR 1M4023, Discours Armand Barau, 26 mars 1942.

[90] Jennings Eric, op. cit, p. 22.

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