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Didactirun
6 mars 2016

Les questions socialement vives en histoire et les processus de construction identitaire en contexte indiaocéanique

Pierre-Éric Fageol

ICARE – Université de La Réunion

 Certaines questions socialement vives en histoire semblent a priori relativement complexes lorsqu’elles portent sur l’océan Indien car elles se comprennent dans un contexte multiculturel générateur de mémoires protéiformes. Les processus de construction identitaire se forgent ainsi sur des topiques présentant parfois des caractères non-consensuels. Les spécificités culturelles de l’aire indiaocéanique française renforcent de la sorte le poids d’un enseignement de l’histoire qui n’a pas pour seul but de transmettre des connaissances mais également de fonder des valeurs, des normes culturelles et sociales[1]. En ce sens et comme le rappelle Antoine Prost, « l’histoire enseignée (…) est toujours peu ou prou instrumentalisée »[2] car elle participe à la construction identitaire des individus. Cette utilité est certes contestable car comme le rappelle Lucien Febvre « une histoire qui sert est une histoire serve »[3], cependant cette réalité est à la base d’un contrat explicitement établi par la noosphère éducative et implicitement reconnu par la société. Ce constat globalement partagé par la communauté des historiens et des didacticiens nous renvoie aux finalités civiques de l’enseignement de l’histoire et aux interrogations qu’elles soulèvent sur la reconnaissance d’une culture commune ou tout au moins d’une culture partagée.

Cette culture de plus en plus cristallisée participe au processus de patrimonialisation et interroge sur la capacité performative du récit historique enseigné dans la construction de valeurs consensuelles. L’enseignement de l’histoire à La Réunion n’échappe pas à cette réalité. L’analyse de certaines questions socialement vives autour du « roman national », de l’esclavage et du choix d’un drapeau réunionnais tend à montrer la complexité à établir une mémoire consensuelle et génératrice de valeurs partagées. La focale d’analyse semble tout aussi impérieuse pour l’école primaire que pour le collège et le lycée où l’enseignement de l’histoire souffre à la fois d’une désaffection de la part des élèves[4] et d’une réputation de difficulté de la part des enseignants peu formés aux réalités scientifiques de l’histoire locale[5]. En articulant les approches épistémologiques et didactiques, il s’agit d’interroger les savoirs et les outils ayant une pertinence sociale et une cohérence intellectuelle dans le contexte indiaocéanique. Cette volonté de trouver du sens questionne le développement personnel de jeunes élèves qui peuvent considérer que le monde par bien des aspects se réduit à leur microcosme.

1. Le roman national en contexte indiaocéanique

     La thématique du roman national renvoie à des problématiques aujourd’hui novatrices[6] qui remettent pour une part en cause le paradigme post-national énoncé notamment par Edgar Morin dans les années 1990 autour de la Terre-Patrie[7]. En effet, le national et son avatar le « roman national »[8] semblent être au cœur d’une actualité qui nécessite de redéfinir son épistémè à l’aune d’un nouveau régime d’historicité. Rappelons, comme le suggérait Henri-Irénée Marrou, que « toute connaissance historique est non seulement située dans le temps mais s’élabore depuis le présent qui ne cesse de renouveler le questionnement de l’historien »[9]. Le temps impose donc ses problématiques et ses choix d’interprétation du monde. Le recueil des événements mis en valeur dans la mémoire nationale dans le contexte réunionnais reflète les enjeux d’une construction identitaire autour d’une communauté imaginée. De la sorte, en reprenant les propos de Christian Delporte et d’Annie Duprat, nous pouvons postuler que « l’événement est un précieux outil de compréhension des imaginaires d’une société pour laquelle il joue à la fois le rôle d’une mémoire et d’un mythe »[10].

De fait, lorsque certains événements rencontrent un écho dans la société réunionnaise et s’inscrivent dans la mémoire, ils se métamorphosent en événements constitutifs des représentations collectives de l’île. Cette mémoire se construit d’abord grâce aux impressions que génère la conscience plus ou moins éloignée du fait national, que ce soit par le biais des cérémonies mettant en valeur certains événements historiques - les fêtes commémoratives -, la visualisation de monuments[11] rendant hommage aux « héros » de la Nation[12] (les monuments aux morts[13] ou la statuaire des « grands hommes »[14] ) mais aussi le partage d’une culture commune par les médias qui peine à articuler « l’identité du même » et  « l’identité de soi » selon les termes de Paul Ricoeur[15].

La connaissance des faits illustres structurant la Nation charpente une culture nationale de nature patrimoniale puisqu’elle permet la structuration d’un fond culturel commun qui reste finalement relativement stable dans le temps depuis les débuts de la Troisième République[16]. C’est ce que rappelle notamment le socle commun en insistant sur le fait que « cette culture commune doit devenir une référence centrale pour la Nation »[17] même si les enseignants peinent à y voir une réalité performatrice[18]. Enfin, le sens attribué aux « objets » nationaux permet de conceptualiser la symbolique nationale et d’acter leur reconnaissance à des fins politiques. Ces « échelles » mémorielles dépendent tout à la fois de la proximité chronologique des représentations mises en évidence mais également des clivages inhérents à la capacité d’abstraction que suppose chacune de ces approches.

     Ce constat est particulièrement probant pour l’école primaire. Qu’il s’agisse des programmes d’enseignement ou de leur transposition en termes de contenu, le système scolaire français s’inscrit d’emblée dans une logique patrimoniale centralisatrice et donc hiérarchisée. Souvent décriés en qualité de vecteurs d’un roman national ou de priorités politiques circonstancielles, les curricula sont les héritiers d’une tradition jacobine encore fortement ancrée. L’enseignement dans le primaire s’appuie ainsi sur une histoire qui reste essentiellement nationale, une épopée avec des jalons historiques incontournables, et qui, pour reprendre les termes de Suzanne Citron, ne semble pas avoir fait son deuil du « moment Lavisse »[19]. S’il semble nécessaire d’abandonner l’enseignement d’une « mythologie française », la crise de l’identité nationale explique en partie le maintien d’un paradigme pourtant peu en phase avec les enjeux posés par la globalisation et les revendications mémorielles multiples.

Le préambule des programmes de 2008 du cycle 3 stipule ainsi que les repères à faire acquérir aux élèves sont des « jalons de l’histoire nationale, ils forment la base d’une culture commune ». Cette culture commune se décline autour de faits et d’événements centrés sur la France métropolitaine, de l’homme de Tautavel à De Gaulle en passant par Vercingétorix, Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, Jeanne d’Arc, François 1er, Henri IV, Louis XIV, Voltaire, Rousseau, Ferry, Curie et autres Napoléon ou Clémenceau. Cette liste n’est pas exhaustive mais permet déjà de comprendre que l’édification de ce récit en forme de mosaïque, décrivant la poursuite d’un destin commun, conduit à rebâtir le passé en omettant certains aspects et en personnifiant l’identité nationale autour de quelques figures de proue.

Pour reprendre l’argumentaire défendu par Jean Garrigues[20] sur les hommes providentiels, nous pouvons estimer que la constitution de panthéons nationaux prend sa source dans les pulsions collectives qui se portent, dans des contextes souvent de crise, sur la figure qui incarne le mieux le salut national. Tout ceci nous montre bien que le nationalisme est fondamentalement mythogène[21]. L’incarnation de l’homme providentiel permet ainsi à la Nation de dépasser sa seule conception abstraite pour prendre corps dans une réalité humaine plus conforme aux attentes de la société.

Cette histoire édifiante ressemble à s’y méprendre à certains aspects de l’histoire enseignée sous la Troisième République, à savoir une fabrique de héros servant encore de supports à des valeurs morales que la grande majorité des élèves peine à identifier tant leur personnification semble aujourd’hui malaisée. Il n’est donc guère étonnant que les élèves ne puissent s’y reconnaître, a fortiori dans un contexte indiaocéanique peu enclin à favoriser leur symbolisation. Cet écueil a plutôt tendance à créer des distorsions de représentations entre celles prônées par les instances centrales et celles vécues au quotidien par les élèves. La prise en compte de l’altérité n’est donc pas chose aisée même si, selon les curricula, la culture humaniste devrait normalement y pourvoir en ouvrant « l’esprit des élèves à la diversité et à l’évolution des civilisations, des sociétés, des territoires, des faits religieux et des arts ». Cependant « l’usage du récit et l’observation de quelques documents patrimoniaux » s’organisent autour de « la liste de repères indispensables » que nous avons évoquée précédemment. Il ne s’agit donc que d’une diversité comprise dans son unité, aporie difficilement surmontable pour les enseignants qui devraient faire preuve de neutralité quitte à refuser cette instrumentalisation au nom de la liberté pédagogique. Nous pouvons certes évoquer les quelques adaptations évoquées pour les DROM et les collectivités territoriales pour l’enseignement secondaire, cependant d’une manière plutôt globale la spécificité des territoires ultramarins n’est guère prise en compte si nous concentrons notre analyse sur l’enseignement à l’école primaire.

     Ce « rapport difficile à la diversité dans l’école de la République », pour reprendre les termes d’Olivier Meunier[22], soulève le problème d’une éducation et d’une instruction ne permettant pas d’optimiser la construction identitaire des élèves. Quelques entrées dans les programmes auraient pu permettre la prise en compte de certaines réalités réunionnaises : « le temps des Découvertes et des premiers empires coloniaux » ; « la traite des Noirs » ; « l’esclavage et son abolition ». Pourtant, même pour ces quelques entrées, le regard porté est décentré par rapport aux logiques indiocéaniques. En effet, l’Atlantique et son approche caribéenne sont dans ce domaine privilégiés, le comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage n’ayant pu intégrer les spécificités du Sud-Ouest de l’océan Indien dans ses recommandations comme nous le verrons par la suite.

L’absence de prise en compte du terreau social et culturel réunionnais n’est pas sans poser problème. Le danger est d’enfermer les élèves dans une logique sclérosante. Celle d’une absence d’histoire, une absence de leur histoire, lorsque l’enseignant applique à la lettre les programmes. A contrario, lorsque certains enseignants exercent leur liberté pédagogique en mettant en scène certaines pages de l’histoire réunionnaise, le risque au contraire est de leur proposer une histoire à part puisque les liens sont rarement établis avec les thématiques des programmes et que la logique inter-scalaire n’est pour l’instant qu’une chimère dans les pratiques de l’école primaire. Le danger est donc de confiner les élèves dans une histoire sans lien avec le reste du monde, dans une histoire microcosmique peu ouverte à la nécessaire découverte de l’autre pour se construire soi-même.

La centralisation des programmes est certes une problématique ancienne. Nous pouvons cependant considérer qu’elle est aujourd’hui exacerbée. De surcroît, il faut bien considérer une continuité de pensée et d’action de la part des autorités politiques autour de la genèse et de la dynamique nationale. En effet, et pour reprendre les termes de Nicolas Offenstadt, nous pouvons considérer que « parmi les usagers du passé, il faut compter au premier chef les autorités publiques. C’est là à la fois un rôle ancien, bien cerné – en théorie – et répétitif. Les gouvernements, en particulier, sont en charge dans les démocraties, en général, de la continuité de la Nation. Ils président donc à la célébration de ses grands moments passés, au rappel du tempo constitutif du pays »[23]. C’est sûrement le gage d’une « labélisation » concertée du national qu’une génération de pseudo-historiens de garde[24] ou d’écrivains parfois désenchantés[25] pourraient mettre à mal ou transformer à des fins politiques intéressées. Pourtant, à l’heure de la globalisation et des réseaux d’intégration multiples, nous serions en droit de relativiser le poids de ces débats dans l’inconscient collectif. En effet, selon les propos de Serge Gruzinski, « comment donner du sens à un cadre de vie qui ne se laisse plus enfermer dans les limites de l’hexagone ni même les confins de l’Europe ? Si le monde n’est pas un empilement stable, hiérarchisé et compartimenté de civilisations et d’histoires, si les frontières entre les modes de vie, les mémoires et les imaginaires ne cessent de se brouiller et de se recomposer, pourquoi ne pas faire table rase du passé et s’abandonner au présent ? »[26].

     C’est ce que semblent revendiquer en partie les chantres d’un roman national renouvelé pour palier les difficultés d’une époque qui selon Dominique Borne « a désenchanté tous les récits »[27]. C’est pourquoi, « un récit est possible aux carrefours de la politique citoyenne, de la littérature et de la science du vrai, un récit qui ne flatte aucune passion cocardière. Ce récit […] n’est pas de ceux qui font marcher au pas cadencé. Il n’exclut personne, abrite les rêves et la rigueur, exhibe les trous sans les ravauder. C’est un récit pour vivre ensemble sans anathèmes, pour confronter les différences et le pluralisme »[28]. Dans cet esprit, une articulation semble possible entre un « roman régional » ouvert à la diversité et un « roman national » ouvert à des finalités civiques unifiées. On ajouterait que rien ne semble contredire le renouvellement d’une expérience déjà établie sous la Troisième République lorsque la petite Patrie était mise à l’honneur pour mieux valoriser la grande[29].

2. La mémoire de l’esclavage

La mémoire de certains événements et la culture du passé qui s’y réfère suscitent des controverses et renvoient surtout aux fantasmes contemporains des sociétés. Lorsqu’elles sont présentées sous la forme de questions socialement vives, elles s’inscrivent donc dans un régime d’historicité spécifique où l’affect du quotidien prend le pas sur la rationalité des analyses historiques. Les controverses ne portent pas seulement en termes épistémologiques sur la valeur des savoirs produits par une telle focale mais également sur les oppositions de mémoire et leurs vivacités sociales. La mémoire de l’esclavage en contexte indiaocéanique n’échappe à ce principe et illustre notamment un besoin de « réparation » en histoire que souligne particulièrement Dominique Borne dans son analyse programmatique de l’histoire de France :

« La prolifération des mémoires, les cris de tous les maltraités de l’Histoire qui demandent réparation témoignent également de ce constant besoin d’histoire. Les mémoires ont envahi l’espace politique et émotionnel. Elles se constituent en kystes, fractionnant la communauté nationale, opposent souffrances à souffrances et des désirs de reconnaissance souvent antagonistes »[30].

Si la dénonciation du syndrome traduit une inquiétude grandissante pour la « communauté nationale », les symptômes témoignent surtout d’un besoin de (re)connaissance dans un monde en perpétuelle quête de sens d’un point de vue identitaire. L’analyse des travaux menés par le Comité Pour la Mémoire de l’Esclavage (CPME) puis le Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage (CNMHE) et les conclusions qui en découlent en termes de curricula constituent un prisme particulièrement intéressant pour comprendre les enjeux identitaires découlant de certaines questions socialement vives. Le rôle du CNMHE et le choix d’une date de commémoration nationale illustre ainsi certains enjeux identitaires autour des questions de mémoire considérées comme sensibles. Un bref rappel historique des débats s’impose avant d’analyser les contenus didactiques qui en résultent.

En 2001, la loi Taubira permet la reconnaissance de la traitre négrière et de la l’esclavage pratiqués par les Européens entre le XVème et le XIXème siècles comme un crime contre l’humanité. Cette décision politique amène la constitution en 2004 d’un Comité pour la Mémoire de l’Esclavage (CPME) présidé alors par l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé (2004-2008)[31]. Les missions du CPME doivent aboutir à la mise en place d’une date de commémoration annuelle en France métropolitaine de l’abolition de l’esclavage. La mention d’une mémoire nationale n’est pas anodine puisque dans chaque territoire de l’outre-mer des commémorations étaient depuis bien longtemps établies. En ce sens, il s’agit d’identifier des lieux de célébration et de mémoire sur l’ensemble du territoire national et de proposer des actions de sensibilisation du public. Le champ éducatif est mis en avant puisque le CPME doit proposer aux ministres de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche des mesures d’adaptation des programmes d’enseignement, des actions de sensibilisation dans les établissements scolaires et des programmes de recherche en histoire[32]. La constitution du comité reflète en partie les enjeux et les missions puisqu’il est composé de quatre universitaires reconnus pour leurs travaux de recherche dans le domaine de la traite et de l’esclavage, de quatre autres personnes choisies en considération de leurs actions associatives et donc culturelles pour la défense de la mémoire de l’esclavage et enfin de quatre personnes référentes pour leur connaissance de l’outre-mer.

Le travail accompli par le comité témoigne de certains choix épistémologiques et didactiques socialement vifs puisqu’ils procèdent de compromis et notamment de mise en concurrence de questions politiquement sensibles. Dans un premier temps, la constitution de certains lieux de mémoire contribue à donner de la visibilité à une approche mémorielle en cours d’élaboration. En 2006, le 10 mai institué comme date de commémoration nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions. Le choix du pluriel met en évidence les difficultés à intégrer une mémoire consensuelle capable de prendre en compte la concurrence de valeurs et d’intérêts divergents. Est également lancée une mission de préfiguration d’un centre national consacré à la traitre négrière et à l’esclavage, confiée à Édouard Glissant, dont l’action fut prépondérante depuis la déclaration du manifeste de 1998 sur l’esclavage[33]. De même est inauguré le 10 mai 2007 un monument au jardin du Luxembourg, œuvre du plasticien Patrice Hyber, dont les chaines brisées ont fait l’objet de certains commentaires irrités au regard des lettres formées par chaque maillon.

Figure 1. Patrice Hyber, Le cri, l’écrit, 2007.

Fig 1 (a)

Dans le domaine de la recherche, un prix de thèse a été attribué en 2006 à Hubert Gerbeau pour son travail sur « L’esclavage et son ombre à Bourbon » et en 2007 à Audrey Carotenuto pour ses recherches sur « Les résistances civiles dans la société coloniale de l’île Bourbon ». Cette dynamique s’est également inscrite dans la création d’un groupe de recherche internationale au CNRS (le CIRESC). De même, un inventaire des objets relatifs à la traite négrière et à l’esclavage est établi par la direction des musées de France tout comme un guide des sources relatives à la traite négrière, à l’esclavage et à leurs abolitions par les archives nationales.

Dans le domaine de l’enseignement, la circulaire du 2 novembre 2005 sur le devoir de mémoire a donné un cadre juridique aux actions de sensibilisation tout comme la circulaire du 14 avril 2006 qui définit les supports pour les cérémonies de commémoration. Enfin, le 10 mai 2006, un séminaire de travail est organisé par la Direction des Affaires Scolaires à Paris pour définir les contenus d’enseignement et leurs modalités d’application. Une des principales questions s’est focalisée sur le choix de la date du 10 mai. Les difficultés exprimées illustrent la complexité de l’intégration de lieux de mémoire et notamment celle d’intégrer des mémoires fracturées ou tout au moins désarticulées. En fonction des territoires, des groupes mémoriels et des priorités politiques, la mémoire de l’esclavage a pu être associée soit aux résistances et luttes contre l’autorité coloniale, soit s’est adossée à l’abolition en qualité de liberté octroyée grâce à la générosité de la République qui ne pouvait être oubliée dans une perspective de reconnaissance et de repentance encore mal assurée.

Les directives initiales montrent que cette histoire ne devait pas seulement concerner les descendants d’esclaves ou les territoires ayant connu l’esclavage. La date devait donc permettre d’écrire une histoire partagée et d’ouvrir vers deux directions. En effet, il s’agit à la fois de se recueillir sur les souffrances et les luttes nées de l’esclavage mais également de saisir toute la richesse pour la Nation des sociétés outre-mer nées de l’esclavage. De même, cette date devait avoir une portée européenne et même internationale car la France est le premier État reconnaissant le caractère de crime contre l’humanité de la traitre négrière et de l’esclavage[34]. Les dates discutées devaient respecter l’existence depuis 1983 de pratiques régionales bien établies autour de dates de commémorations prenant surtout en compte l’accueil du décret d’abolition. Que ce soit le 27 avril à Mayotte[35], le 22 mai à la Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 août en Guyane ou le 20 décembre à La Réunion, la patrimonialisation de l’événement s’est inscrite dans une reconnaissance contextualisée. Il s’agit pourtant de repères mettant en exergue les bienfaits de la République et laissant de côté les résistances et luttes contre l’oppression coloniale. Certaines dates ont été discutées sans pour autant faire l’objet d’un consensus. Le 4 février, date du 1er décret d’abolition de l’esclavage par la Convention en 1794, posait le problème du rétablissement de 1802 sous l’ère napoléonienne. Les résistances à ce rétablissement, en particulier le sacrifice de Delgrès, risquaient de tomber dans l’oubli. De même, le décret de 1794 n’ayant pas été appliqué aux Mascareignes, le choix du 4 février ne pouvait obtenir une approbation consensuelle.  

Le 27 avril, date du décret d’abolition de l’esclavage par la Deuxième République, a bien évidemment été sollicité. Il avait l’avantage de faire partie des dates repères établies dans les programmes scolaires et d’articuler les mesures sociales et démocratiques des débuts de la République avec le processus d’émancipation des esclaves. Le problème est que ce choix passe sous silence le fait que l’abolition est aussi le résultat de luttes et de résistances initiées par les esclaves. La logique républicaine ne permet pas non plus d’associer le processus d’émancipation avec les logiques libérales internationales. De même, ce décret ne met pas fin au statut colonial ni à l’exploitation humaine comme le prouve le phénomène de l’engagisme. Enfin, cette date mettait en évidence le culte paternaliste à Schoelcher aux Antilles. Le 1er mardi de février a également été évoqué. Cette date renvoie à la fois aux événements révolutionnaires de 1794 et de 1848. Cependant, pour des raisons pédagogiques, il fallait une date fixe dans le calendrier des commémorations. Le 23 mai est ensuite proposé. Cette date correspond à la grande manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes en réaction à la campagne d’affichage de la mairie de Paris « Tous nés en 1848 »[36]. La date est associée à une mémoire particulière ne présentant pas le caractère consensuel recherché. Par opposition, le 10 mai est le jour où le Sénat a adopté à l’unanimité la loi qui a fait de l’esclavage et de la traite négrière un crime contre l’humanité. Cette date a une double portée : citoyenne tout d’abord, car elle prend en compte tout le processus historique (les luttes des esclaves, les mouvements abolitionnistes) qui a conduit la République à la prise de conscience que constitue cette loi. Elle a également une portée universelle avec la notion de crime contre l’humanité et permet d’envisager une reconnaissance qui dépasse le cadre outre-mer.

Face à l’ensemble de ces débats, au choix opéré autour de certaines mémoires désarticulées, les programmes d’enseignement ont tenté d’apporter des solutions et d’inscrire cette question en termes de doxa[37] consensuelle. Les perspectives adoptées ne reprennent qu’en partie les conclusions du CPME et intègrent une focale globalisante plus en adéquation avec les dernières évolutions épistémologiques historiques[38]. La traite atlantique est ainsi inscrite dans le contexte général des traites négrières que l’on relie également à celles des royaumes africains.

La reconnaissance de la spécificité de la traite des départements outre-mer ne s’est donc guère inscrite de manière probante dans les programmes. De même, en focalisant l’analyse sur la seule traite atlantique, les programmes n’ont pas tenu compte des réalités historiques des Mascareignes et des Comores. Les manuels peinent ainsi à présenter des supports d’enseignement sur le Sud-Ouest de l’océan Indien. Seules les adaptations de programmes[39] permettent d’ancrer cette étude dans la réalité contextuelle de chaque DROM même si « les traites océaniques [et non plus atlantiques] sont inscrites dans le contexte général des traites négrières ». Pourtant, « l’étude [s’appuyant] sur un exemple de trajet de [la] traite […] ainsi que sur les éléments connus de la vie sur l’habitation », une herméneutique contextualisée est soumise à la sagacité des élèves. In fine, il convient de s’interroger sur les finalités d’une telle politique mémorielle et les enjeux implicites auxquels ils renvoient. Pour reprendre les termes de Charles Heimberg, ces débats sont le reflet d’une démarche axiologique tentant d’imposer des assignations identitaires et racinaires peu en phase avec les revendications sociétales. C’est ainsi que « [la doxa] ne préconise pas un travail d’histoire et de mémoire dédié à une reconnaissance des traumatismes, à une connaissance de leurs mécanismes, à leurs inscriptions dans un contexte historique et à un croisement des points de vue et des perspectives ; mais elle s’intéresse davantage à la mise en exergue d’un prétendu devoir de mémoire qui postule une transmission factuelle susceptible de prévenir le retour des crimes du passé, avec le risque qu’une dimension à la fois morale et émotionnelle prenne le dessus sur une réflexion critique »[40]. À ne pas prendre en compte l’identité des personnes, on ne fait que renforcer la quête identitaire de ces dernières.

Loin de clore un processus finalisé et clairement accepté, la dynamique se poursuit pourtant au sein du CPME en intégrant de nouvelles problématiques. C’est pourquoi, en 2009, le comité s’est reconstitué en intégrant désormais les questions historiques autour de l’esclavage. Présidé par l’historienne réunionnaise Françoise Vergès (2009-2012), le comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage connaît une ultime évolution avec la création du comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage sous la présidence de l’anthropologue d’origine martiniquaise Myriam Cottias. Gageons que les nouveaux programmes en cours d’élaboration s’appuieront sur cette volonté que la connaissance du passé permette de comprendre le monde actuel[41] pour enfin articuler la dimension identitaire et donc civique avec l’exigence nécessaire de curricula établis sur des connaissances scientifiques.

3. Un drapeau pour La Réunion : « roman régional » et mémoire

Un regain d’intérêt est actuellement perceptible dans les médias au sujet de l’adoption officielle d’un drapeau pour l’île de La Réunion[42]. Les réflexions ont très largement débordé la seule sphère politique pour s’inscrire dans un débat d’opinion auquel l’école n’est pas insensible puisque dans une perspective régionale d’enseignement des projets pédagogiques se sont construits autour de ces débats. Au-delà des aspects politiques, le choix d’un marqueur symbolique régional met en concurrence des valeurs et des intérêts divergents où les émotions ne sont pas absentes. En ce sens, il s’agit d’une question socialement vive[43] permettant d’aborder avec les élèves certains enjeux autour des questions identitaires spécifiques au contexte indiaocéanique. Ce n’est certes pas à l’école de statuer sur le choix d’un symbole régional, c’est pourtant de son ressort d’interroger la (re)connaissance de ses usagers dans ce dernier.

À ce jour, trois drapeaux, plus ou moins revendiqués par des groupes d’intérêt politique ou culturel différents, pourraient prétendre au titre d’emblème réunionnais même si les premières tentatives de créer un blason pour La Réunion sont plus anciennes[44]. La volonté de voir voler au vent un étendard péi[45] sur les façades des mairies et des collectivités montre que derrière le choix d’un drapeau se cachent toujours des considérations politiques et des choix mémoriels spécifiques. Pourtant, en 1974, quand Guy Pignolet, l’auteur du Lo Mavéli, dessine son volcan rayonnant, il n’affiche aucune ambition politique particulière. Se déclarant « citoyen du monde », cet ingénieur en astronautique inscrit son étendard dans une valeur identitaire réunionnaise qui ne s’oppose en aucune façon au drapeau tricolore.

Figure 2 : Lo Mavéli

Fig 2

D’un point de vue sémiologique, ce drapeau représente le volcan du Piton de la Fournaise[46] sous la forme d’un triangle rouge (la force) sur un fond de couleur bleu marine (le ciel et la douceur) tandis que cinq rayons de soleil (la clarté) divergent à 180° depuis son sommet. Les rayons jaunes illustrent les différentes populations qui, au fil des siècles, sont venues peupler l’île de La Réunion. Selon cette symbolique, venus du monde entier les Réunionnais sont ainsi tournés vers le monde. Le nom choisi, Lo Mavéli, rappelle cette symbolique puisque Mahavel signifie en malgache « beau pays » et Véli renvoie à étoile selon le dialecte malbar[47]. Le mot transcrit littéralement l’idée d’une étoile qui mène au beau pays. Malgré l’interprétation consensuelle d’un tel symbole, ce n’est qu’en 2003 que l’Association réunionnaise de vexillologie (AVR) reconnaît ce drapeau.

     Plus tardivement, d’autres acteurs politiques et culturels proposent leur version de l’emblème péi, à commencer par les mouvances indépendantistes de l’île. En 1984, l’association MLK[48] menée par François Saint-Omer réfléchit au « drapeau culturel de La Réunion ». Ce drapeau à cinq couleurs symbolise les continents d’origine dont sont issus les Réunionnais, articulant ainsi la diversité dans l'unité.

Figure 3 : « Drapeau culturel de La Réunion »

Fig 3

Le bleu enracine l’île autour de son ciel et de l’océan qui la borde. Le vert, symbole de la terre réunionnaise, rappelle également l’espoir et la liberté. Le jaune pour le soleil surplombe le rouge pour le volcan. Le noir symbolise la mémoire des ancêtres, celle de l’esclavage et de la traite, celle d’une identité racinée et douloureuse.

     Quelques années plus tard, en mars 1986, Bernard Grondin du LPLP[49] mais aussi Aniel Boyer de Nasion Reyoné[50] s’unissent pour proposer un autre drapeau doté d’une symbolique commune et s’accordent sur une version qui ne sera hissée au titre de symbole indépendantiste que le 14 juin 2008. Si ce drapeau est officialisé et revendiqué au sein d’une mouvance politique précise, c’est justement pour se démarquer de celui choisi par l’AVR. Une analyse succincte des signes composant le drapeau laisse entrevoir une toute autre logique sémiotique visuelle. D’un point de vue plastique, le sens attribué aux couleurs et aux formes propose une logique identitaire structurée par la souffrance de la matrice coloniale.

Figure 4 : « Drapeau Lorganizasyon popilèr po libèr nout péi »

Fig 4

Le vert symbolise ainsi le marronnage (fuite des esclaves dans les hauts de l’île), le jaune les ancêtres et le rouge la souffrance dans laquelle vivent les différentes composantes de la société réunionnaise représentée par une étoile à cinq branches : kaf[51], malbar, chinois, yab[52], zarab[53]. La seule exception notoire est celle des métropolitains autrement appelés zoreils en créole.

     Quelle que soit l’importance attribuée à ces drapeaux, le principal enjeu réside dans l’identification potentielle de la population réunionnaise aux symboles représentés. Si Lo Mavéli, plus consensuel et peu ancré sur des revendications politiques, semble recueillir l’approbation d’une grande partie du personnel politique, il n’en demeure pas moins vrai que l’appropriation des Réunionnais semble à peine esquissée. De surcroît, en marge de ceux qui y voient des connotations politiques, nombreux sont ceux qui ne trouvent aucune utilité à l’adoption d’un drapeau régional, évoquant l’existence d’un drapeau tricolore français qui suffirait amplement à représenter les valeurs défendues par la société. Pourtant, toutes les régions de France, y compris en outre-mer, possèdent un emblème qui leur permet tout simplement de se démarquer entre elles. De même, à la jonction des usages politiques et identitaires du passé, les acteurs précités en appellent à de nouvelles formes de lecture de l’histoire, à la valorisation publique de passés spécifiques qui ne laissent pas indifférent le milieu éducatif.

     Ces débats ne sont guère abordés en classe par le prisme politique. Il ne s’agit pas seulement d’une posture déontologique mettant en avant le principe de neutralité mais également un sentiment de difficulté éprouvé par les enseignants pour promouvoir une véritable réflexion identitaire en contexte multiculturel. Pourtant, les élèves sont confrontés quotidiennement à ces symboles[54] sans qu’ils puissent pour autant en décrypter la logique et les valeurs qu’ils propagent. Les quelques projets pédagogiques ayant pris pour support l’analyse de ces drapeaux se sont contentés d’une étude plastique et de certains décryptages culturels sans en percevoir véritablement les enjeux didactiques d’un point de vue identitaire et les possibilités d’une problématisation en lien avec les programmes d’histoire.

     D’un point de vue identitaire, les drapeaux mettent en évidence le principe des racines rhizomes en lien avec les vagues migratoires complexes et les processus d’hybridation en constant renouvellement[55]. L’exclusion ou la mise en valeurs de certains groupes socio-culturels renvoie à l’unique matrice coloniale et à un passé compris en terme de repentance. Les identités sont également racinées sur un territoire ayant des caractéristiques spécifiques quitte à parfois sombrer dans un déterminisme géographique d’un autre âge. La diversité inhérente au contexte multiculturel se projette donc sur une unité territoriale revendiquée qui fait que par bien des aspects le monde se réduit au microcosme réunionnais. Pour éviter certains écueils consécutifs à ce type d’approche identitaire et culturelle, une problématisation historique actualisée semble nécessaire. La transmission de lieux communs peut être évitée en promouvant une conscience critique, « notamment par rapport à l’immédiateté de l’actualité, l’inflation des faits médiatisés, critique aussi par rapport à la demande sociale et d’une façon plus large aux mouvements de la conscience collective, à la demande de mémoire »[56]. Autrement dit, le « boom mémoriel » peut être pensé historiquement avec les élèves, c’est-à-dire construit selon des modes de raisonnement propres à la discipline telles que l’analyse contextualisée, la mise en perspective et en relation des faits analysés. C’est à ce prix qu’une véritable conscience historique peut-être construite en classe malgré la complexité d’une question qui demeure socialement vive par bien des aspects.

Conclusion :

Aborder les questions identitaires sous le prisme des questions socialement vives permet d’interroger les élèves sur des problématiques ontologiques contextualisées. En effet, si l’identité est bien la relation que chaque individu entretient avec lui-même tout au long de son existence et donc en lien avec les faits qui la structurent, il s’agit bien d’une notion existentielle en constante actualisation. De la sorte, la confrontation aux récits mémoriels et identitaires permet aux élèves soit de se démarquer, soit de se reconnaître dans une « communauté imaginée ». De surcroît, nous construisons notre liberté à partir de nos appartenances, de nos liens et de nos attachements, et non à partir d’un vide, d’une abstraction ou dans le pire des cas d’un mythe dans lequel on ne se reconnaît pas. Cette précaution est nécessaire pour éviter de construire chez les élèves des identités désaccordées. L’héritage historique et le volontarisme politique doivent donc être conciliés selon des modalités combinant tout à la fois inventivité et prudence. De prime abord, nous pouvons considérer que c’est une erreur de penser que les élèves peuvent vivre seulement de normes abstraites et idéales. La perception de leur environnement et les prémices de sa représentation sont donc des priorités pédagogiques. De surcroît, on peut considérer qu’il n’y a d’identité que narrative. Il n’y a pas d’autres manière de répondre à la question « Qui suis-je ? » que de commencer à raconter son histoire. L’identité se fabrique donc de bas en haut, et non de haut en bas. En acceptant une norme qui ne traduit pas la réalité vécue par les élèves, le risque est d’essentialiser leur identité. Le danger serait de favoriser une hétéronomie peu en phase avec le premier fondement de l’éducation : promouvoir l’autonomie. A contrario, nous pouvons considérer que l’identité n’est pas une essence mais une relation qui nécessite de guider l’élève « hors de lui-même » pour qu’il puisse se construire. Ce n’est finalement qu’une composition complexe d’appartenances diverses que seules les questions socialement vives permettent véritablement d’aborder en profondeur.

Nous avons bien conscience que cela suppose qu’il y ait préalablement un apprentissage à la controverse, à l’esprit critique, à une argumentation déliée de tout esprit de persuasion, à l’herméneutique transactionnelle et surtout à l’analyse complexe dans le sens que lui confère Edgar Morin[57]. Ces conditions ne sauraient être considérées comme des écueils insurmontables mais bien comme un tremplin pour de nouvelles formes d’apprentissage où l’élève serait au centre de sa propre dynamique réflexive.

 



[1] Cf. Legris, P. (2014). Qui écrit les programmes d’histoire ? Grenoble : PUG, 224 p.

[2] Cf. Prost, A. (2010). École, histoire et nation : présentation. Histoire de l’éducation, n° 126, pp. 5-10.

[3] Leçon d’ouverture à la Faculté des Lettres de Strasbourg, le 4 décembre 1919, in Colas, M. (2011). Enseigner l’histoire. Entre liberté et responsabilité. Paris : SEDES, p. 84.

[4] Cf. Grenouilleau, O. (2013). L’histoire à l’école. Représentations, enjeux, perspectives. Le débat, n°175, pp. 51-59.

[5] Cf. Fageol, P-É. (2008).  L’enseignement du local. Revue d’histoire de l’océan Indien,n° 4, pp. 138-154.

[6] Cf. Lantheaume, F. (2010). « Roman national » et diversité culturelle. Exemple de l’enseignement de l’histoire en France. Mac Andrew, M., Milot. & A., Triki-Yamani (dir.), L’école et la diversité. Perspectives comparées. Laval : Presses universitaires de Laval, pp. 121-132. Cf. Les disciplines scolaires : miroirs des évolutions contemporaines de la nation ? Colloque Université de Rennes-2 / CERHIO, 19 et 20 mars 2015.

[7] Cf. Morin, E. (1993). Terre-Patrie. Paris : Le Seuil, 243 p.

[8] Selon les propos de Suzanne Citron, cette expression est surtout employée pour qualifier l’histoire officielle notamment celle transmise au sein de l’institution scolaire. Elle s’appuie sur une mytho-histoire et une mise en perspective téléologique. Il s’agit donc de créer les conditions de la Nation avant son existence et la percevoir comme un aboutissement. Cf. Citron, S. (2009). Le « roman national » peut-il être remis en question ? Diasporiques n°8, pp. 20-28.

[9] Cf. Henri-Irénée Marrou, H-I. (1954). De la connaissance historique. Paris : Seuil, 318 p.

[10] Delporte, Ch. & Duprat, A. (2003). L’événement. Images, représentation, mémoire. Paris : Éditions Créaphis, p. 27.

[11] Le terme « monument » est issu du latin monumentum qui vient du verbe monere c’est-à-dire « avertir » et/ou « rappeler ». Un monument a par conséquent pour ambition de réactiver le souvenir de quelque chose. Il en découle une connotation affective et non une valeur historique. Selon les termes de Choay, Fr. (1999) : « il ne s’agit pas de constater, de livrer une information neutre mais d’ébranler, par émotion, une mémoire vivante ». L’allégorie du patrimoine. Nouvelle édition, Paris : Seuil, 1999, p. 14.

[12] Cf. Amalvi, C. (2011). Les héros des Français. Controverses autour de la mémoire nationale. Paris : Bibliothèque historique Larousse, 445 p.

[13] Cf. Vandeplas, B. (2004). Une guerre, des monuments : lieux de mémoire et patrimoine de l’île de La Réunion. Travaux et Documents n°21, pp. 71-89.

[14] Cf. les réflexions d’ordre épistémologique de Chartier, R. (1980). L’invention d’un sujet : la statuomanie. Le Débat, n°2, pp. 116-117.

[15] Ricoeur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.

[16] Nous pouvons observer que des constantes apparaissent dans le choix des ingrédients composant le « roman national ». Ces constantes font essentiellement appel au pathos des imaginaires collectifs. La brutalité de certains événements et leurs ondes de choc au sein de la société sont ainsi des déclencheurs instantanés d’émotions. Ceci tend à expliquer la part importante jouée par les phénomènes qui renvoient à la mort, au don de soi, à l’estime – fierté ou honte – mais aussi à la reconnaissance de la collectivité.

[17] Projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture du 8 juin 2014.

[18] Selon une enquête menée par le ministère de l’éducation nationale sur le socle commun seuls 38,7% des personnels interrogés considèrent que l’élève est capable de « construire son identité en apprenant à croiser ses appartenances » en fin de scolarité obligatoire. De même, seulement 45% des enseignants considèrent comme acquise « la place des valeurs communes dans l’organisation de la vie collective ». Cf. Ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – Dgesco. Synthèse de la consultation nationale sur le projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture (http://eduscol.education.fr/consultation-nationale-socle-commun-2014-2015) p. 89.

[19] Cf. Citron, S. (2008). Le Mythe national, l’histoire de France revisitée. Paris : L’Atelier en poche, 336 p.

[20] Cf. Garrigues, J. (2012). Les Hommes providentiels. Histoire d’une fascination française. Paris : Seuil, 472 p.

[21] On entend par là l’édification consciente et volontaire d’un imaginaire national même si la validité des arguments avancés peut paraître discutable et parfois soutenue avec force et conviction sans autre preuve que l’affirmation assertive qu’elle sous-tend.

[22] Meunier, O. (2013). Un rapport difficile à la diversité dans l’école de la République. Revue internationale d’éducation, n° 63, pp. 89-98.

[23] Offenstadt, N. (2013). Histoires et historiens dans l’espace public. In Granger, C. (dir.). À quoi pensent les historiens ? Faire de l’histoire au XXIème siècle. Paris : Éditions Autrement, p. 82.

[24] Cf. Blanc, W., Chéry, A. & Baudin, C. (2013). Les Historiens de garde. De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national. Paris : Incultes essai, 254 p.

[25] Cf. Authier, C. (2014). De chez nous. Paris : Stock, 171 p.

[26] Gruzinski, S. (2015). L’Histoire, pour quoi faire ? Paris : Fayard, p. 33.

[27] Borne, D.  (2014). Quelle histoire pour la France ? Paris : Gallimard, p. 13.

[28] Ibid. p. 141.

[29] Cf. Fageol, P.-É. (2016). L’enseignement de la petite Patrie à La Réunion sous la Troisième République. Histoire de l’éducation (en cours de publication).

[30] Borne, D.  (2014). ibid, p. 145.

[31] Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions : rapport à monsieur le Premier ministre de la France (2005). Comité pour la mémoire de l'esclavage. Paris : La Découverte, 126 p.

[32] Chaque année, un prix de thèse de doctorat est décerné.

[33] Lors du colloque international Poétiques d'Édouard Glissant qui s'est tenu du 11 au 13 mars 1998 en Sorbonne, Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau et Wole Soyinka ont réclamé en conclusion la reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crime contre l'humanité. Cf. Glissant, E. (2007). Mémoires des esclavages. La fondation d’un centre national pour la mémoire des esclavages et de leurs abolitions. Paris : Gallimard, 176 p.

[34] L’article 3 de la loi Taubira du 21 mai 2001 stipule : « Une requête en reconnaissance de la traitre négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l’océan Indien et de l’esclavage comme crime contre l’humanité sera introduite auprès du Conseil de l’Europe, des organisations internationales et de l’Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d’une date commune au plan international pour commémorer l’abolition de la traitre négrière et de l’esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d’outre-mer ».  

[35] L’esclavage sur Mayotte est pourtant aboli depuis une ordonnance du roi Louis-Philippe en date du 9 décembre 1846.

[36] Le 23 mai 1998, plusieurs milliers de personnes ont défilé à Paris pour montrer leur opposition à la manière dont le gouvernement avait célébré le 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage en affirmant que les esclaves étaient devenus citoyens en 1848, qu'ils était « Tous nés » cette année là.

[37] La doxa selon Bourdieu « est un point de vue particulier, le point de vue des dominants, qui se présente et s’impose comme point de vue universel ; le point de vue de ceux qui dominent en dominant l’État et qui n’ont constitué leur point de vue en point de vue universel en faisant l’État », in Bourdieu, P. (1994). Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action. Paris : Seuil, p. 129.

[38] Pétré-Grenouillou, O. (2014). Qu'est-ce que l'esclavage ? Une histoire globale. Paris : Gallimard, 410 p. En 2005, l’auteur avait été accusé par un collectif outre-mer de révisionnisme pour sa critique de la notion de crime contre l’humanité concernant la traite négrière. Soutenu par la communauté scientifique qui a pu à cette occasion critiquer les lois mémorielles, Olivier Pétré-Grenouillou n’a pas été poursuivi.

[39] Bulletin officiel spécial n° 4 du 12 juillet 2012.

[40] Charles Heimberg, Nadine Fink, Valérie Opériol, Alexia Panagiotounakos & Maria de Sousa (2013). L’intelligibilité du passé face à la tyrannie de la doxa : un problème majeur pour l’histoire à l’école. Cité par Jean-Luc Dorier, Francis Leutenegger, Bernard Schneuwly, Le didactique, les didactiques, la didactique. In Didactique en construction, construction des didactiques. Bruxelles : De Boeck, p. 150.

[41] Projet de programme. Conseil supérieur des programmes. 09 avril 2015.

[42] Cf. Le journal de l’île de La Réunion des 25-26-27-28 avril 2014.

[43] Legardez, A. & Simmoneaux, L. (2006). L'école à l'épreuve de l'actualité : Enseigner les questions vives. Paris : ESF, 246 p.

[44] Imaginé par Émile Merwart en 1925, le blason de La Réunion rappelle la première découverte de l’île en 1638 par le navire Saint Alexis, la mise en valeur royale au temps de Bourbon avec les fleurs de lys mais aussi la période de domination napoléonienne avec la symbolique des abeilles. Seul le drapeau tricolore central orné des initiales de la République française inscrit la réalité historique de l’île dans une temporalité plus contemporaine.

[45] En créole « pays ».

[46] Volcan actif de La Réunion qui culmine à 2632 mètres.

[47] De malabar, expression employée pour désigner les populations d’origine indienne et de confession hindouiste.

[48] Mouvman Lantant’ Koudmin : « Mouvement entente et coup de main ».

[49] Lorganizasyon popilèr po libèr nout péi : « Front populaire de Libération nationale ».

[50] « Nation réunionnaise ».

[51] Cafre : population d’origine africaine. De Kafir : « infidèle » dans le monde musulman de l’Afrique orientale.

[52] Créole blanc des hauts.

[53] Indien de confession musulmane.

[54] Lo Mavéli est ainsi hissé comme étendard lors de certaines compétitions sportives ou plus quotidiennement sur le fronton de certaines mairies ou autres établissements publics. Ce même drapeau est également diffusé en qualité de faire-valoir régional pour le commerce ou le tourisme.

[55] Ce postulat s’avère essentiel pour la société réunionnaise où les identités plurielles, que d’aucuns comparent à des identités rhizomes, multiplient les focales d’interprétation. Selon Édouard Glissant, « l'image de la racine évoque toute identité fondée sur l'appartenance ancestrale à une culture, alors que celle du rhizome admet une identité multiple, née non pas du passé mais de relations qui se tissent au présent. Alors que l'identité "racine" est héritée des ancêtres, localisable dans un lieu géographique et une histoire familiale, l'identité "rhizome" reste à construire au présent. Elle n'admet ni un seul lieu d'origine, ni une histoire familiale précise, elle naît des relations qu'elle crée ». Glissant, E. (1997). Traité du Tout-Monde - Poétique IV. Paris : Gallimard, 268 p.

[56] Héry, E. (2009). Le temps dans l’enseignement de l’histoire. In De Cock, L. & Picard, E. (dir.). La Fabrique scolaire de l’Histoire. Marseille : Agone, p. 63.

[57] Cf. Morin, E. (2005). Introduction à la pensée complexe. Paris : Éditions du Seuil, 158 p.

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