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Didactirun
16 avril 2015

Une notion, un jour...

Pour les collègues PE

Temps

Pour une première approche

Le temps est une notion complexe. Savants, philosophes et historiens pré­sentent des approches différentes. De manière générale, le temps est une période pendant laquelle une action ou un événement, ou encore une suc­cession d’actions et d’événements, se déroule.

Quelques précisions

Dali-montres-molles

Pour l’ensemble des cycles, le temps est une notion fondamentale dans les programmes, car elle est considérée à la fois comme une finalité et un outil. Or étant une construction intellectuelle, le temps n’est pas une réa­lité matérielle et tangible, d’où la difficulté inhérente à son apprentissage. L’homme l’a pourtant organisé et structuré afin de le maîtriser et de se l’approprier. Il est loin d’être inné, et son appréhension varie selon les individus, les sociétés et les époques. Le temps résonne en chacun de nous, car nous y rattachons tous notre propre expérience.

Toute la difficulté à définir la notion de temps réside dans sa double étude, tant par les scientifiques que par les philosophes. Sensible à cette difficulté qu’il juge caractéristique de toutes les notions premières, Pascal (Pensées) estime que le temps fait partie de ces choses qu’il est impossible et même inutile de définir.

Le temps est de cette sorte. Qui pourra le définir ? Et pourquoi l’entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire en parlant de temps, sans qu’on le dé­signe davantage ?

La polysémie du terme nous invite à la prudence et à la modestie ; nous ne pouvons en aborder que quelques facettes. De prime abord, nous pouvons concevoir le temps physique. Il s’agit de la dimension de l’univers selon laquelle semble s’ordonner la succession irréversible des phénomènes, et qui peut être repérée et mesurée. Les anciennes définitions de l’échelle de temps se fondaient sur la durée du jour solaire moyen, et sur la rotation apparente du Soleil par rapport à la Terre, qui constituait l’étalon de temps. L’histoire des mathématiques montre ainsi que, jusqu’au XIXe siècle, les mathématiciens évoluaient seulement dans l’espace de la géométrie euclidienne ; puis Albert Einstein, avec sa théorie sur la relativité, y a introduit le temps comme quatrième dimension.

Le temps absolu vrai ou mathématique, sans relation à rien d’extérieur, coule unifor­mément, et s’appelle durée. Le temps relatif, apparent et vulgaire, est cette mesure sen­sible et externe d’une partie de durée quelconque (égale ou inégale) prise du mouve­ment : telles sont les mesures d’heures, de jours, de mois, etc. dont on se sert ordinai­rement à la place du temps vrai. (Isaac Newton)

Ces concepts physiques de temps absolu et de temps relatif nous amènent à considérer le temps objectif et le temps subjectif, reflets « vécus » des temps de Newton et d’Einstein. Le temps objectif est celui que l’on peut mesurer exactement. Selon les différentes situations qui peuvent se présenter, l’unité de mesure à utiliser varie, mais ce temps mesuré aura la même valeur, quel que soit l’observateur qui le considère. En revanche, le temps subjectif varie selon l’observateur qui le vit, selon sa motivation, son attention, son état physique et mental. De plus, en fonction de l’activité menée pendant une durée déterminée, on aura la « sensation » que le temps s’est écoulé plus ou moins vite.

On peut ensuite déterminer un temps dit « social », celui permettant les interactions entre les individus. Pour s’intégrer dans la société qui l’entoure, l’homme a besoin de repères communs avec elle. Dans les so­ciétés industrialisées, l’homme veut vivre vite, ne pas perdre de temps. Les repères communs se construisent autour de « l’agenda », avec ses semaines numérotées, ses moments d’urgence ou de répit (les week-ends), et où les rendez-vous et les événements s’inscrivent. D’autres sociétés plus traditionnelles, orientales ou africaines par exemple, vivent avec des repères naturels : le lever et le coucher du soleil, la saison des pluies, le retour de la pleine lune, la croissance des végétaux – dans la langue lin­gala (Afrique Centrale), il n’existe pas de mots différents pour « hier » et « demain », réunis dans un seul terme qui signifie « pas aujourd’hui ». Pour Paul Ricœur (Temps et récit, Paris, Le Seuil, 1983), « l’expérience culturelle du temps prend sa forme définitive dans le langage ».

Le temps dit psychologique est lié à l’expérience humaine ; il ramène l’homme à son expérience intime. Le temps est ici conçu comme une sorte d’espace mental où se déroulent les choses. Cet espace peut se structurer en trois niveaux. Le premier niveau est celui des rythmes biologiques : le temps que met l’organisme à accomplir certaines tâches ; il s’agit du temps vécu. Si l’on modifie le rythme organique en modifiant son envi­ronnement, on modifie alors également l’expérience que l’homme a du temps. Un simple voyage au long cours perturbe considérablement notre notion du temps et nos rythmes biologiques. Le deuxième niveau est celui du « présent psychique », reflet de l’expérience temporelle, où se dis­tinguent les orientations du passé et de l’avenir. Il s’agit ici du temps perçu. Enfin, le troisième niveau est celui de la réflexion : l’expérience du présent est doublée de la représentation objective du passé et de l’avenir ; cela permet l’estimation quantitative de ces portions de temps absentes. C’est le temps conçu. Pour l’homme, le temps est d’abord vécu et perçu avant d’être conçu. C’est à travers ce processus que s’inscrira pour l’enfant l’apprentissage de la notion de temps.

Concernant le rapprochement entre la notion de temps et l’histoire, nous pouvons d’abord rappeler que cette dernière est considérée comme le récit du temps passé. Elle raconte ce qui est arrivé à un pays, à des hommes, dans un temps donné, et qui est forcément antérieur au moment de la narration. L’objet de l’histoire est le sujet humain lui-même, person­nage célèbre ou anonyme, groupe constitué ou spontané. L’historien s’attache ainsi à comprendre et à expliquer les actions des hommes. Pour cela, l’historien se doit de maîtriser le temps et donc le codage chronolo­gique. Comme le souligne Claude Lévi-Strauss :

Il n’y a pas d’histoire sans dates : pour s’en convaincre, il suffit de considérer comment un élève parvient à apprendre l’histoire : il la réduit à un corps décharné dont les dates forment le squelette. Non sans raison, on a réagi contre cette méthode desséchante, mais en tombant souvent dans l’excès inverse. Si les dates ne sont pas toute l’histoire, ni le plus intéressant dans l’histoire, elles sont ce à défaut de quoi l’histoire elle-même s’évanouirait, puisque toute son originalité et sa spécificité sont dans l’appréhension du rapport de l’avant et de l’après, qui serait voué à se dissoudre si, au moins virtuelle­ment, ses termes ne pouvaient être datés. Or, le codage chronologique dissimule une nature beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine, quand on conçoit les dates de l’histoire sous la forme d’une simple série linéaire. (Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962)

La notion de temps n’a pas toujours eu la même valeur en fonction du contexte historique étudié. C’est ainsi que les sociétés sont passées d’un temps considéré comme cyclique à un temps linéaire avec les religions monothéistes. De même, la façon d’enregistrer le temps a évolué en fonction des sociétés et des civilisations. Les travaux de Krzysztof Pomian (L’Ordre du temps, 1984) sont à cet effet intéressants. L’auteur détermine, d’un point de vue historiographique, quatre paradigmes temporels.

•   La chronosophie tente de donner du sens au temps. On lui attribue des valeurs de simultanéité, de continuité, d'irréversibilité, de rupture, de temps longs ou temps courts.

•   La chronologie délimite des périodes plus longues. Il s’agit de siècles, de millénaires qui peuvent être regroupés en périodes. À l’inverse de la chronométrie qui est cyclique, ici le déroulementest linéaire.

•   La chronographie enregistre des faits extraordinaires : une bataille, la mort d’unsouverain, etc.

•   La chronométrie mesure des temps courts, cycliques. Elle utilise pour cela des instruments variés comme des sabliers, des horloges ou des calendriers.

Pour la chronologie, il faut noter que les instruments que nous utilisons sont relativement récents. Ainsi, le recours à l’ère chrétienne n’est devenu courant qu’à partir du VIIIe siècle. Les siècles, eux, n’apparaissent qu’en 1560 et leur essor ne date que des années 1800. Il faut en outre attendre le rationalisme des Lumières pour qu’apparaisse le découpage canonique des quatre périodes de l’histoire : Antiquité, Moyen Âge, temps modernes et époque contemporaine. Pourtant, ce découpage aux contours flous et où l’approche européenne domine est fort criticable. Ainsi, le calendrier chrétien n’est pas partagé par l’ensemble des sociétés ; parfois, des diffé­rences apparaissent au sein même de la communauté des chrétiens si l’on considère les calendriers julien et grégorien ; le changement de période ne constitue pas forcément une rupture en ce qui concerne les domaines étu­diés ou les espaces analysés, etc. Bref, l’on reproduit un choix institution­nel car il est pratique et facile de compréhension.

Par ailleurs, il est difficile de faire prendre conscience des différentes temporalités offertes par les programmes. Notamment, l’histoire com­mence avec l’écriture, ce qui veut dire que l’entrée dans l’histoire est va­riable en fonction des sociétés. Par exemple, pour ce qui est de l’étude de l’espace français, l’introduction de l’écriture est tardive. En ce sens, l’entrée de la France dans l’histoire correspond-elle à la romanisation ?

Aujourd’hui, les historiens et les enseignants, dans le cadre de leur cour, utilisent de plus en plus une conception du temps « newtonienne », celui-ci étant conçu comme un absolu, par rapport à un temps relatif ; l’on passe d’un temps « subi » à un temps construit, d’un temps unique à une pluralité des temporalités. L’ensemble de ces débats a enrichi la réflexion sur le temps historique tout en la rendant plus complexe. Pour l’historien, s’ouvre désormais une multitude de périodicités puisque tout objet histo­rique s’inscrit dans une temporalité singulière.

Une autre notion est au cœur des principes de l’histoire et de l’appré­hension du temps : le fait historique, avec son pendant, l’événement. Un fait est la réalité du passé. Pourtant, on peut se demander s’il s’agit d’une notion appartenant au domaine du donné ou du construit. Ainsi, les histo­riens de la Belle époque, qualifiés de « positivistes » et d’« historisants », ont considéré le fait historique comme un donné brut, comme un diamant qu’il suffisait de dégager de sa gangue. Nombre d’historiens des généra­tions suivantes ont une conception opposée : le fait historique est à la fois choix et construction de l’historien. Il n’y a pas de fait pur : le fait histo­rique est un choix intellectuel. De plus, à côté des faits divers, l’événe­ment apparaît comme un fait marquant ; il y a donc une hiérarchisation de faits. L’événement est ce qui n’arrive qu’une fois, ce que des êtres agis­sants font arriver ou subissent et, par conséquent, ce qui échappe à toute nécessité logique ou physique, à tout modèle ou invariant. La production d’événements paraît être l’aboutissement du travail mené par l’historien. Toutefois, l’événement peut aussi être considéré comme une trompeuse agitation de surface. C’est pourquoi certains historiens prônent l’histoire sérielle, qui privilégie les faits qui apparaissent en masse, se répètent et sont quantifiables (on parle aussi d’histoire quantitative). Est-ce alors la mort de l’événement ? Cela ne semble pas être le cas, car on assiste aujourd’hui à un nouveau renversement de perspective. L’événement reste un fait extraordinaire, mais les conditions de sa production se sont mo­difiées : jadis, il était forgé par l’historien et la mémoire ; aujourd’hui, nous avons l’événement sans l’historien, les médias créent l’événement. Auparavant, l’événement émergeait d’une lente décantation opérée par l’historien ou par la mémoire collective et il constituait une denrée rare. Aujourd’hui, les événements sont fabriqués instantanément et ils se bousculent. La recherche des traces du passé devient donc complexe et de plus en plus spécialisée. Elle nécessite parfois l’utilisation de supports divers en corrélation avec d’autres disciplines.

Liens avec les programmes

Du cycle 1 au cycle 3, la notion de temps fait l’objet d’une progression rigoureuse en fonction du stade de développement cognitif des élèves. Cependant, une certaine similitude apparaît entre l’analyse proposée par K. Pomian et la réalité des programmes. La chronographie, qui enregistre des faits, est manifeste dans les programmes du cycle 1. Les élèves doivent être capables de situer, et de se situer dans, le temps ; ils pointent donc des faits. La chronométrie est abordée au cycle 1 – « l’élève dé­couvre l’éloignement des événements » –, mais aussi au cycle 2 – l’élève apprend à « mieux se servir des repères temporels et [à] aborder les ins­truments qui structurent le temps des hommes, horloges et calendriers ». La chronologie est initiée au cycle 2 – des « événements du passé sont abordés par la mémoire des hommes » –, et complétée au cycle 3 – « le temps historique se définit par la chronologie, suite de dates significatives. […] Certaines dates sont habituellement choisies pour délimiter de grandes périodes comme le Moyen Âge […]. Elles offrent une part d’arbitraire […]. » Quant à la chronosophie, il s’agit d’une compétence de fin de cycle 3 :

Le temps est à la fois fait de simultanéité et de continuité, de courte et de longue durée, d’irréversibilité et de rupture. C’est cette intelligence du temps que l’élève, avec l’aide du maître, construit progressivement […]. (IO, 2002)

Citations

Il faut donner du temps au temps. (Miguel de Cervantès)

Autre temps, autres mœurs. (Pindare)

Le temps est l’image mobile de l’éternité immobile. (Platon)

Avancer, c’est reconnaître le temps. Et reconnaître le temps, c’est accepter la mort. (Cécile Wajsbrot)

Le temps est au début et à la fin de chaque vie humaine, et chaque homme a son temps, son temps différent. (Thomas Wolfe)

Pour aller plus loin

Elias Norbert, Du temps, Paris, Pocket, 1999.

Pomian Krzysztof, L’Ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984.

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