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Didactirun
1 avril 2015

Une notion, un jour...

Une notion, un jour...

Pour les collègues PE

Nation et nationalisme

Pour une première approche

L’idée de nation ne s’est dégagée que peu à peu de celle d’État. Définie d’abord par l’unité de gouvernement, d’administration et de langue exis­tant sur un même territoire, la nation désigne à partir du XVIIIe siècle l’ensemble des citoyens qui désirent vivre en commun. Désormais, la notion de nation, communauté d’hommes ayant une certaine unité (langue et culture) et possédant une conscience plus ou moins nette de cette unité, se distingue nettement de celle d’État, considéré comme gouvernement et administration de la société.

Quelques précisions

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La nation est une idée qui a une histoire ; celle-ci a évolué dans le temps et dans l’espace. Le mot « nation », dérivé du latin natio, se retrouve ainsi dans les sources bibliques pour mentionner les peuples païens en compa­raison avec le peuple élu : « Allez enseigner toutes les nations ». Au Moyen Âge, le terme natio renvoyait également à une perception ethnico-linguistique (groupe d’individus de même naissance, comme le découpage en nations opéré à la Sorbonne au Moyen Âge), mais aussi, selon certains chroniqueurs, à l’idée d’une accumulation des générations sur un espace donné. Dans ce contexte, le terme est surtout employé au pluriel, les nations désignant les étrangers.

La notion ne prend son sens moderne qu’au début du XVIIIe siècle. La nation se définit alors comme une communauté d’hommes ayant une cer­taine unité de langue et de culture, et possédant une conscience plus ou moins nette de cette unité. Le mot est employé au singulier et acquiert une dimension politique nouvelle comme l’atteste l’utilisation de la majus­cule : la Nation. Au XIXe siècle, surgit une opposition entre une doctrine française issue de la Révolution et une doctrine allemande issue du ro­mantisme. La doctrine française fait de la nation un acte volontaire (conception politique et citoyenne), tandis que la doctrine allemande fait de la nation un acte inconscient (conception culturelle et linguistique). Cette opposition s’est cristallisée au XIXe siècle autour des débats entre Fustel de Coulanges et Mommsen autour de la question de l’Alsace-Lor­raine. Fustel de Coulanges évolue ensuite vers une idéologie plus autori­taire et réactionnaire avant de s’attaquer aux doctrines internationalistes qui s’opposent aux mouvements belliqueux des nations.

Vous croyez avoir prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande parce que sa po­pulation est de race germanique et parce que son langage est l’allemand. Mais je m’étonne qu’un historien comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité. Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien que les peuples ne sont presque jamais constitués d’après leur ori­gine primitive. Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les États. Chaque nation s’est ainsi peu à peu formée, chaque patrie s’est dessinée sans qu’on se soit préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. […] La langue n’est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle cinq langues en France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité nationale. […] Vous vous targuez de ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c’est à Strasbourg que l’on a chanté pour la première fois la Marseillaise ? Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, travailler ensemble, combattre ensemble, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c’est ce qu’on aime. Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française. Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV, c’est notre révolu­tion de 1789. (Fustel de Coulanges, « L’Alsace est-elle allemande ou française ? », Réponse à T. Mommsen, professeur à Berlin, Paris, 27 octobre 1870)

Le concept de nation est aussi associé à celui de nationalisme (apparu en français en 1798), qui désigne la revendication d’un peuple assujetti aspirant à l’indépendance. Il s’agit d’une exacerbation de l’idée de nation impliquant une survalorisation des valeurs nationales et l’exclusion de l’autre, voire l’hostilité aux voisins.

Le patriote est celui qui aime son pays, le nationaliste est celui qui déteste les autres. (Dmitri Likhatchev)

Le concept de nationalisme étant lié à celui d’État-nation qui n’appa­raît qu’au XIXe siècle, il faut le concevoir comme le développement de la conscience nationale pour la période antérieure. Eric Hobsbawm parle ainsi de protonationalisme. C’est peut-être en 1745, à l’occasion d’un prêche au temple de Fetterlane, à Londres, que le mot « nationalisme » fut employé pour la première fois. L’utilisateur de ce néologisme est l’Alle­mand piétiste Nikolaus Ludwig Von Zinzendorf. Il affirme dans son sermon l’existence d’une spécificité nationale, qui s’étendrait à la liturgie voire à la doctrine de la religion. Dans ce domaine, le nationalisme devient ainsi un instrument de légitimation et de mobilisation. L’émer­gence des nations est donc concomitante de la modernité. Cependant, les politologues considèrent qu’il est plus facile d’appréhender ce processus que ce que représente la nation elle-même. Pour reprendre les termes de Gil Delannoi :

de même que nous savons mieux ce qu’est une religion qu’un Dieu, nous voyons plus clairement les traits communs des nationalismes que la forme universelle de la Nation.

Le processus de constitution des nations suit deux logiques opposées : intégration ou fragmentation. On parle d’intégration lorsqu’il y a domina­tion d’une nation par rapport à une autre et donc disparition des minorités dites nationales. Les mouvements de russification ou de germanisation au XIXe siècle entrent dans cette logique d’uniformisation afin d’assurer la cohésion sociale au sein de l’État. À l’inverse, l’émiettement des empires pluriethniques sur le modèle politique de l’État-nation permet la création d’entités plus réduites, comme dans l’Europe centrale du XIXe siècle. Ce processus encourage parfois la création de micro-États comme dans les Balkans – le terme « balkanisation » renvoie d’ailleurs à un émiettement poussé à son extrême. Le géographe Yves Lacoste rappelle que :

les nations résultent de processus de formations géopolitiques dissemblables dont les modalités spécifiques éclairent leur conception particulière de la nationalité. (Yves Lacoste, Dictionnaire de géopolitique, Paris, Flammarion, 1993)

L’historiographie sur la question est en gestation. Pendant longtemps, les historiens spécialisés dans l’étude de ce phénomène sont restés confi­nés dans une historiographie nationale, forcément réductrice. L’analyse des champs conceptuels, différents selon les aires étudiées, ne pouvait être que succincte. Cependant, dès le XIXe siècle se mettent en place des com­paraisons entre la France et l’Allemagne en raison des divergences d’ap­préciation du concept de nation. L’étude du patriotisme et des processus de constitution du sentiment national s’est, quant à elle, surtout centrée sur le XIXe siècle, avec la création des États-nations en Europe et les indé­pendances en Amérique latine. Les conflits ethniques et nationaux dans la seconde moitié du XXe siècle ont malgré tout suscité un regain d’intérêt pour cette notion de la part des historiens.

Liens avec les programmes

Moyen Âge

Temps modernes

XIXe siècle

XXe siècle

La guerre de Cent Ans fait naître une première forme de cons­cience nationale

La Révolution fran­çaise est considé­rée comme une matrice pour la fondation de la nation française

Création d’une conscience nationale avec l’école de la IIIe République

Le nationalisme à tra­vers les idéo­logies (nazisme) ou le com­bat de libération des colonies

Citations

La terre est ma patrie, le genre humain ma nation. (Tevfik Fikret)

La nation est une famille, le nationalisme une abstraction. (André Frossard)

Pour moi, l’idée de nation se dissout dans l’idée d’humanité. (Victor Hugo)

Une nation est une société unie par des illusions sur ses ancêtres, et par la haine com­mune de ses voisins. (William Inge)

L’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et que tous aient oublié bien des choses. (Ernest Renan)

Ce qui constitue une nation, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. (Ernest Renan)

Pour aller plus loin

Gellner Ernest, Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989.

Guiomar Jean-Yves, La Nation entre l’histoire et la raison, Paris, La Découverte, 1989.

Hobsbawm Eric, Nations et nationalisme depuis 1870. Programme, mythe et réalité, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1992.

Renan Ernest, Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Mille et Une Nuits, 1997.

Taguieff Pierre-André, Théorie sur le nationalisme, Paris, Quincey, 1992.

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